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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

nous trois, Madeleine dégagea sa tête des mains de son père, regarda la porte ouverte, se glissa dehors comme une anguille, et Jacques la suivit. Tous deux rejoignirent leur mère, car j’entendis leurs voix et leurs mouvements, semblables, dans le lointain, aux bourdonnements des abeilles autour de la ruche aimée.

Je contemplai le comte en tâchant de deviner son caractère, mais je fus assez intéressé par quelques traits principaux pour en rester à l’examen superficiel de sa physionomie. Agé seulement de quarante-cinq ans, il paraissait approcher de la soixantaine, tant il avait promptement vieilli dans le grand naufrage qui termina le dix-huitième siècle. La demi-couronne, qui ceignait monastiquement l’arrière de sa tête dégarnie de cheveux, venait mourir aux oreilles en caressant les tempes par des touffes grises mélangées de noir. Son visage ressemblait vaguement à celui d’un loup blanc qui a du sang au museau, car son nez était enflammé comme celui d’un homme dont la vie est altérée dans ses principes, dont l’estomac est affaibli, dont les humeurs sont viciées par d’anciennes maladies. Son front plat, trop large pour sa figure qui finissait en pointe, ridé transversalement par marches inégales, annonçait les habitudes de la vie en plein air et non les fatigues de l’esprit, le poids d’une constante infortune et non les efforts faits pour la dominer. Ses pommettes, saillantes et brunes au milieu des tons blafards de son teint, indiquaient une charpente assez forte pour lui assurer une longue vie. Son œil clair, jaune et dur tombait sur vous comme un rayon du soleil en hiver, lumineux sans chaleur, inquiet sans pensée, défiant sans objet. Sa bouche était violente et impérieuse, son menton était droit et long. Maigre et de haute taille, il avait l’attitude d’un gentilhomme appuyé sur une valeur de convention, qui se sait au-dessus des autres par le droit, au-dessous par le fait. Le laissez-aller de la campagne lui avait fait négliger son extérieur. Son habillement était celui du campagnard en qui les paysans aussi bien que les voisins ne considèrent plus que la fortune territoriale. Ses mains brunies et nerveuses attestaient qu’il ne mettait de gants que pour monter à cheval ou le dimanche pour aller à la messe. Sa chaussure était grossière. Quoique les dix années d’émigration et les dix années de l’agriculteur eussent influé sur son physique, il subsistait en lui des vestiges de noblesse. Le libéral le plus haineux, mot qui n’était pas encore monnayé, aurait facilement reconnu chez lui la loyauté chevaleresque, les convictions immarces-