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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/316

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Nous eûmes une conversation vagabonde dans laquelle j’entendis de vrais enfantillages qui me surprirent étrangement. Il ignorait des faits d’une évidence géométrique ; il avait peur des gens instruits ; les supériorités, il les niait ; il se moquait, peut-être avec raison, des progrès ; enfin je reconnus en lui une grande quantité de fibres douloureuses qui obligeaient à prendre tant de précautions pour ne le point blesser, qu’une conversation suivie devenait un travail d’esprit. Quand j’eus pour ainsi dire palpé ses défauts, je m’y pliai avec autant de souplesse qu’en mettait la comtesse à les caresser. À une autre époque de ma vie, je l’eusse indubitablement froissé, mais, timide comme un enfant, croyant ne rien savoir, ou croyant que les hommes faits savaient tout, je m’ébahissais des merveilles obtenues à Clochegourde par ce patient agriculteur. J’écoutais ses plans avec admiration. Enfin, flatterie involontaire qui me valut la bienveillance du vieux gentilhomme, j’enviais cette jolie terre, sa position, ce paradis terrestre en le mettant bien au-dessus de Frapesle.

— Frapesle, lui dis-je, est une massive argenterie, mais Clochegourde est un écran de pierres précieuses !

Phrase qu’il répéta souvent depuis en citant l’auteur.

— Hé ! bien, avant que nous y vinssions, c’était une désolation, disait-il.

J’étais tout oreilles quand il me parlait de ses semis, de ses pépinières. Neuf aux travaux de la campagne, je l’accablais de questions sur les prix des choses, sur les moyens d’exploitation, et il me parut heureux d’avoir à m’apprendre tant de détails.

— Que vous enseigne-t-on donc ? me demandait-il avec étonnement.

Dès cette première journée, le comte dit à sa femme en rentrant :

— Monsieur Félix est un charmant jeune homme !

Le soir, j’écrivis à ma mère de m’envoyer des habillements et du linge, en lui annonçant que je restais à Frapesle. Ignorant la grande révolution qui s’accomplissait alors, et ne comprenant pas l’influence qu’elle devait exercer sur mes destinées, je croyais retourner à Paris pour y achever mon Droit et l’École ne reprenait ses cours que dans les premiers jours du mois de novembre, j’avais donc deux mois et demi devant moi.

Pendant les premiers moments de mon séjour, je tentai de m’unir intimement au comte, et ce fut un temps d’impressions cruelles.