Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

une jachère crayeuse où sur des mousses ardentes et sonores, des couleuvres repues rentrent chez elles en levant leurs têtes élégantes et fines. Jetez sur ces tableaux, tantôt des torrents de soleil ruisselant comme des ondes nourrissantes, tantôt des amas de nuées grises alignées comme les rides au front d’un vieillard, tantôt les tons froids d’un ciel faiblement orangé, sillonné de bandes d’un bleu pâle ; puis écoutez ? vous entendrez d’indéfinissables harmonies au milieu d’un silence qui confond. Pendant les mois de septembre et d’octobre, je n’ai jamais construit un seul bouquet qui m’ait coûté moins de trois heures de recherches, tant j’admirais, avec le suave abandon des poètes, ces fugitives allégories où pour moi se peignaient les phases les plus contrastantes de la vie humaine, majestueux spectacles où va maintenant fouiller ma mémoire. Souvent aujourd’hui je marie à ces grandes scènes le souvenir de l’âme alors épandue sur la nature. J’y promène encore la souveraine dont la robe blanche ondoyait dans les taillis, flottait sur les pelouses, et dont la pensée s’élevait, comme un fruit promis, de chaque calice plein d’étamines amoureuses.

Aucune déclaration, nulle preuve de passion insensée n’eut de contagion plus violente que ces symphonies de fleurs, où mon désir trompé me faisait déployer les efforts que Beethoven exprimait avec ses notes ; retours profonds sur lui-même, élans prodigieux vers le ciel. Madame de Mortsauf n’était plus qu’Henriette à leur aspect. Elle y revenait sans cesse, elle s’en nourrissait, elle y reprenait toutes les pensées que j’y avais mises, quand pour les recevoir elle relevait la tête de dessus son métier à tapisserie en disant : — Mon Dieu, que cela est beau ! Vous comprendrez cette délicieuse correspondance par le détail d’un bouquet, comme d’après un fragment de poésie vous comprendriez Saadi. Avez-vous senti dans les prairies, au mois de mai, ce parfum qui communique à tous les êtres l’ivresse de la fécondation, qui fait qu’en bateau vous trempez vos mains dans l’onde, que vous livrez au vent votre chevelure, et que vos pensées reverdissent comme les touffes forestières ? Une petite herbe, la flouve odorante, est un des plus puissants principes de cette harmonie voilée. Aussi personne ne peut-il la garder impunément près de soi. Mettez dans un bouquet ses lames luisantes et rayées comme une robe à filets blancs et verts, d’inépuisables exhalations remueront au fond de votre cœur les roses en bouton que la pudeur y écrase. Autour du col évasé de la