Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/36

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sont les maîtres. Enfin, entre nous soit dit, ce dont il est question, est-ce un malheur ? n’est-ce pas un bonheur que vous payeriez cher un jour ? À qui vous intéresserez-vous, pour qui travaillerez-vous ?

— Pour moi, donc ! s’écria brutalement du Bousquier.

— Vieux monstre, vous ne serez jamais père ! dit Suzanne en donnant à sa phrase l’accent d’une malédiction prophétique.

— Allons, pas de bêtises, Suzanne, reprit du Bousquier, je crois que je rêve encore.

— Mais quelle réalité vous faut-il donc ? s’écria Suzanne en se levant.

Du Bousquier frotta son bonnet de coton sur sa tête par un mouvement de rotation d’une énergie brouillonne qui indiquait une prodigieuse fermentation dans ses idées.

— Mais il le croit, se dit Suzanne à elle-même, et il en est flatté. Mon Dieu, comme il est facile de les attraper, ces hommes !

— Suzanne, que diable veux-tu que je fasse ? il est si extraordinaire… Moi qui croyais… Le fait est que… mais non, non, cela ne se peut pas…

— Comment, vous ne pouvez pas m’épouser ?

— Ah ! pour ça, non ! J’ai des engagements.

— Est-ce avec mademoiselle de Gordes ou avec mademoiselle Cormon, qui, toutes les deux, vous ont déjà refusé ? Écoutez, monsieur du Bousquier, mon honneur n’a pas besoin de gendarmes pour vous traîner à la Mairie. Je ne manquerai point de maris, et ne veux point d’un homme qui ne sait pas apprécier ce que je vaux. Un jour vous pourrez vous repentir de la manière dont vous vous conduisez, parce que rien au monde, ni or, ni argent, ne me fera vous rendre votre bien, si vous refusez de le prendre aujourd’hui.

— Mais, Suzanne, es-tu sûre ?…

— Ah ! monsieur ! fit la grisette en se drapant dans sa vertu, pour qui me prenez-vous ? Je ne vous rappelle point les paroles que vous m’avez données, et qui ont perdu une pauvre fille dont le seul défaut est d’avoir autant d’ambition que d’amour.

Du Bousquier était livré à mille sentiments contraires, à la joie, à la défiance, au calcul. Il avait résolu depuis longtemps d’épouser mademoiselle Cormon, car la charte, sur laquelle il venait de ruminer, offrait à son ambition la magnifique voie politique de la