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LE LYS DE LA VALLÉE.

que chose que vous ne sauriez faire, refusez net en ne laissant aucune fausse espérance ; puis accordez promptement ce que vous voulez octroyer : vous acquerrez ainsi la grâce du refus et la grâce du bienfait, double loyauté qui relève merveilleusement un caractère. Je ne sais si l’on ne nous en veut pas plus d’un espoir déçu qu’on ne nous sait gré d’une faveur. Surtout, mon ami, car ces petites choses sont bien dans mes attributions, et je puis m’appesantir sur ce que je crois savoir, ne soyez ni confiant, ni banal, ni empressé, trois écueils ! La trop grande confiance diminue le respect, la banalité nous vaut le mépris, le zèle nous rend excellents à exploiter. Et d’abord, cher enfant, vous n’aurez pas plus de deux ou trois amis dans le cours de votre existence, votre entière confiance est leur bien ; la donner à plusieurs, n’est-ce pas les trahir ? Si vous vous liez avec quelques hommes plus intimement qu’avec d’autres, soyez donc discret sur vous-même, soyez toujours réservé comme si vous deviez les avoir un jour pour compétiteurs, pour adversaires ou pour ennemis ; les hasards de la vie le voudront ainsi. Gardez donc une attitude qui ne soit ni froide ni chaleureuse, sachez trouver cette ligne moyenne sur laquelle un homme peut demeurer sans rien compromettre. Oui, croyez que le galant homme est aussi loin de la lâche complaisance de Philinte que de l’âpre vertu d’Alceste. Le génie du poète comique brille dans l’indication du milieu vrai que saisissent les spectateurs nobles ; certes, tous pencheront plus vers les ridicules de la vertu que vers le souverain mépris caché sous la bonhomie de l’égoïsme ; mais ils sauront se préserver de l’un et de l’autre. Quant à la banalité, si elle fait dire de vous par quelques niais que vous êtes un homme charmant, les gens habitués à sonder, à évaluer les capacités humaines, déduiront votre tare et vous serez promptement déconsidéré, car la banalité est la ressource des gens faibles ; or les faibles sont malheureusement méprisés par une société qui ne voit dans chacun de ses membres que des organes ; peut-être d’ailleurs a-t-elle raison, la nature condamne à mort les êtres imparfaits. Aussi peut-être les touchantes protections de la femme sont-elles engendrées par le plaisir qu’elle trouve à lutter contre une force aveugle, à faire triompher l’intelligence du cœur sur la brutalité de la matière. Mais la société, plus marâtre que mère, adore les enfants qui flattent sa vanité. Quant au zèle, cette