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LE LYS DE LA VALLÉE.

souffrance est resté sans souillure ; tout est beau, tout est bien en vous, veuillez donc ! Votre avenir est maintenant dans ce seul mot, le mot des grands hommes. N’est-ce pas, mon enfant, que vous obéirez à votre Henriette, que vous lui permettrez de continuer à vous dire ce qu’elle pense de vous et de vos rapports avec le monde : j’ai dans l’âme un œil qui voit l’avenir pour vous comme pour mes enfants, laissez-moi donc user de cette faculté, à votre profit, don mystérieux que m’a fait la paix de ma vie et qui, loin de s’affaiblir, s’entretient dans la solitude et le silence. Je vous demande en retour de me donner un grand bonheur : je veux vous voir grandissant parmi les hommes, sans qu’un seul de vos succès me fasse plisser le front ; je veux que vous mettiez promptement votre fortune à la hauteur de votre nom et pouvoir me dire que j’ai contribué mieux que par le désir à votre grandeur. Cette secrète coopération est le seul plaisir que je puisse me permettre. J’attendrai. Je ne vous dis pas adieu. Nous sommes séparés, vous ne pouvez avoir ma main sous vos lèvres ; mais vous devez bien avoir entrevu quelle place vous occupez dans le cœur de

Votre Henriette. »

Quand j’eus fini cette lettre, je sentais palpiter sous mes doigts un cœur maternel au moment où j’étais encore glacé par le sévère accueil de ma mère. Je devinai pourquoi la comtesse m’avait interdit en Touraine la lecture de cette lettre, elle craignait sans doute de voir tomber ma tête à ses pieds et de les sentir mouillés par mes pleurs.

Je fis enfin la connaissance de mon frère Charles qui jusqu’alors avait été comme un étranger pour moi ; mais il eut dans ses moindres relations une morgue qui mettait trop de distance entre nous pour que nous nous aimassions en frères ; tous les sentiments doux reposent sur l’égalité des âmes et il n’y eut entre nous aucun point de cohésion. Il m’enseignait doctoralement ces riens que l’esprit ou le cœur devinent ; à tout propos, il paraissait se défier de moi ; si je n’avais pas eu pour point d’appui mon amour, il m’eût rendu gauche et bête en affectant de croire que je ne savais rien. Néanmoins il me présenta dans le monde où ma niaiserie devait faire valoir ses qualités. Sans les malheurs de mon enfance, j’aurais pu prendre sa vanité de protecteur pour de l’amitié frater-