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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

qui jette au printemps un coton blanc soyeux l’enveloppe de sa fleur. La comtesse avait repris son auguste sérénité ; elle se repentait presque de m’avoir dévoilé ses douleurs et d’avoir crié comme Job, au lieu de pleurer comme la Madeleine, une Madeleine sans amours, ni fêtes ni dissipations, mais non sans parfums ni beautés. La seine ramenée à ses pieds fut pleine de poissons : des tanches, des barbillons, des brochets des perches et une énorme carpe sautillant sur l’herbe.

— C’est un fait exprès, dit le garde.

Les ouvriers écarquillaient leurs yeux en admirant cette femme qui ressemblait à une fée dont la baguette aurait touché les filets. En ce moment le piqueur parut, chevauchant à travers la prairie au grand galop, et lui causa d’horribles tressaillements. Nous n’avions pas Jacques avec nous, et la première pensée des mères est, comme l’a si poétiquement dit Virgile, de serrer leurs enfants sur leur sein au moindre événement.

— Jacques ! cria-t-elle. Où est Jacques ? Qu’est-il arrivé à mon fils ?

Elle ne m’aimait pas ! Si elle m’avait aimé, elle aurait eu pour mes souffrances cette expression de lionne au désespoir.

— Madame la comtesse, monsieur le comte se trouve plus mal.

Elle respira, courut avec moi, suivie de Madeleine.

— Revenez lentement, me dit-elle ; que cette chère fille ne s’échauffe pas. Vous le voyez, la course de monsieur de Mortsauf par ce temps si chaud l’avait mis en sueur, et sa station sous le noyer a pu devenir la cause d’un malheur.

Ce mot dit au milieu de son trouble, accusait la pureté de son âme. La mort du comte, un malheur ! Elle gagna rapidement Clochegourde, passa par la brèche d’un mur et traversa les clos. Je revins lentement en effet. L’expression d’Henriette m’avait éclairé, mais comme éclaire la foudre qui ruine les moissons engrangées. Durant cette promenade sur l’eau, je m’étais cru le préféré ; je sentis amèrement qu’elle était de bonne foi dans ses paroles. L’amant qui n’est pas tout n’est rien. J’aimais donc seul avec les désirs d’un amour qui sait tout ce qu’il veut, qui se repaît par avance de caresses espérées, et se contente des voluptés de l’âme parce qu’il y mêle celles que lui réserve l’avenir. Si Henriette aimait, elle ne connaissait rien ni des plaisirs de l’amour ni de ses tempêtes. Elle vivait du sentiment même, comme une sainte avec Dieu. J’étais