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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

saire de rouages qui marchent à heure fixe. Les fortifications d’acier poli élevées autour d’une femme anglaise, encagée dans son ménage par des fils d’or, mais où sa mangeoire et son abreuvoir, où ses bâtons et sa pâture sont des merveilles, lui prêtent d’irrésistibles attraits. Jamais un peuple n’a mieux préparé l’hypocrisie de la femme mariée en la mettant à tout propos entre la mort et la vie sociale ; pour elle, aucun intervalle entre la honte et l’honneur : ou la faute est complète, ou elle n’est pas ; c’est tout ou rien, le to be, or not to be d’Hamlet. Cette alternative, jointe au dédain constant auquel les mœurs l’habituent, fait d’une femme anglaise un être à part dans le monde. C’est une pauvre créature, vertueuse par force et prête à se dépraver, condamnée à de continuels mensonges enfouis en son cœur, mais délicieuse par la forme, parce que ce peuple a tout mis dans la forme. De là les beautés particulières aux femmes de ce pays : cette exaltation d’une tendresse où pour elles se résume nécessairement la vie, l’exagération de leurs soins pour elles-mêmes, la délicatesse de leur amour si gracieusement peinte dans la fameuse scène de Roméo et de Juliette où le génie de Shakspeare a d’un trait exprimé la femme anglaise. À vous qui leur enviez tant de choses, que vous dirai-je que vous ne sachiez de ces blanches sirènes, impénétrables en apparence et sitôt connues, qui croient que l’amour suffit à l’amour, et qui importent le spleen dans les jouissances en ne les variant pas, dont l’âme n’a qu’une note, dont la voix n’a qu’une syllabe, océan d’amour, ou qui n’a pas nagé ignorera toujours quelque chose de la poésie des sens, comme celui qui n’a pas vu la mer aura des cordes de moins à sa lyre. Vous connaissez le pourquoi de ces paroles. Mon aventure avec la marquise Dudley eut une fatale célébrité. Dans un âge où les sens ont tant d’empire sur nos déterminations, chez un jeune homme où leurs ardeurs avaient été si violemment comprimées, l’image de la sainte qui souffrait son lent martyre à Clochegourde rayonna si fortement que je pus résister aux séductions. Cette fidélité fut le lustre qui me valut l’attention de lady Arabelle. Ma résistance aiguisa sa passion. Ce qu’elle désirait, comme le désirent beaucoup d’Anglaises, était l’éclat, l’extraordinaire. Elle voulait du poivre, du piment pour la pâture du cœur, de même que les Anglais veulent des condiments enflammés pour réveiller leur goût. L’atonie que mettent dans l’existence de ces femmes une perfection constante dans les choses, une régularité