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LE LYS DE LA VALLÉE.

dans le salon, où elle assistait à une leçon de mathématiques donnée à Jacques par l’abbé de Dominis, en montrant à Madeleine un point de tapisserie. Autrefois elle aurait bien su, le jour de mon arrivée, remettre ses occupations pour être toute à moi ; mais mon amour était si profondément vrai que je refoulai dans mon cœur le chagrin que me causa ce contraste entre le présent et le passé ; car je voyais la fatale teinte jaune-paille qui, sur ce céleste visage, ressemblait au reflet des lueurs divines que les peintres italiens ont mises à la figure des saintes. Je sentis alors en moi le vent glacé de la mort. Puis quand le feu de ses yeux dénués de l’eau limpide où jadis nageait son regard tomba sur moi, je frissonnai ; j’aperçus alors quelques changements dus au chagrin et que je n’avais point remarqués en plein air : les lignes si menues qui, à ma dernière visite, n’étaient que légèrement imprimées sur son front, l’avaient creusé ; ses tempes bleuâtres semblaient ardentes et concaves ; ses yeux s’étaient enfoncés sous leurs arcades attendries, et le tour avait bruni ; elle était mortifiée comme le fruit sur lequel les meurtrissures commencent à paraître, et qu’un ver intérieur fait prématurément blondir. Moi, dont toute l’ambition était de verser le bonheur à flots dans son âme, n’avais-je pas jeté l’amertume dans la source où se rafraîchissait sa vie, où se retrempait son courage ? Je vins m’asseoir à ses côtés, et lui dis d’une voix où pleurait le repentir : — Êtes-vous contente de votre santé ?

— Oui, répondit-elle en plongeant ses yeux dans les miens. Ma santé, la voici, reprit-elle en me montrant Jacques et Madeleine.

Sortie victorieuse de sa lutte avec la nature, à quinze ans, Madeleine était femme ; elle avait grandi, ses couleurs de rose du Bengale renaissaient sur ses joues bistrées ; elle avait perdu l’insouciance de l’enfant qui regarde tout en face, et commençait à baisser les yeux ; ses mouvements devenaient rares et graves comme ceux de sa mère ; sa taille était svelte, et les grâces de son corsage fleurissaient déjà ; déjà la coquetterie lissait ses magnifiques cheveux noirs, séparés en deux bandeaux sur son front d’Espagnole. Elle ressemblait aux jolies statuettes du Moyen-Age, si fines de contour, si minces de forme que l’œil en les caressant craint de les voir se briser ; mais la santé, ce fruit éclos après tant d’efforts, avait mis sur ses joues le velouté de la pêche, et le long de son col le soyeux duvet où, comme chez sa mère, se jouait la lumière. Elle devait vivre ! Dieu l’avait écrit, cher bouton de la plus belle