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LE LYS DE LA VALLÉE.

chacun tirait sa lumière, pour connaître l’horreur du vide. Les mêmes choses étaient là, mais l’esprit qui les vivifiait s’était éteint comme une flamme soufflée. J’ai compris l’affreuse nécessité où sont les amants de ne plus se revoir quand l’amour est envolé. N’être plus rien, là où l’on a régné ! Trouver la silencieuse froideur de la mort là où scintillaient les joyeux rayons de la vie ! les comparaisons accablent. Bientôt j’en vins à regretter la douloureuse ignorance de tout bonheur qui avait assombri ma jeunesse. Aussi mon désespoir devint-il si profond que la comtesse en fut, je crois, attendrie. Un jour, après le dîner, pendant que nous nous promenions tous sur le bord de l’eau, je fis un dernier effort pour obtenir mon pardon. Je priai Jacques d’emmener sa sœur en avant, je laissai le comte aller seul, et conduisant madame de Mortsauf vers la toue : — Henriette, lui dis-je, un mot, de grâce, ou je me jette dans l’Indre ! J’ai failli, oui, c’est vrai ; mais n’imité-je pas le chien dans son sublime attachement ! je reviens comme lui, comme lui plein de honte ; s’il fait mal, il est châtié, mais il adore la main qui le frappe ; brisez-moi, mais rendez-moi votre cœur…

— Pauvre enfant ! dit-elle, n’êtes-vous pas toujours mon fils ?

Elle prit mon bras et regagna silencieusement Jacques et Madeleine, avec lesquels elle revint à Clochegourde par les clos en me laissant au comte, qui se mit à parler politique à propos de ses voisins.

— Rentrons, lui dis-je, vous avez la tête nue, et la rosée du soir pourrait causer quelque accident.

— Vous me plaigniez, vous ! mon cher Félix, me répondit-il, en se méprenant sur mes intentions. Ma femme ne m’a jamais voulu consoler, par système peut-être.

Jamais elle ne m’aurait laissé seul avec son mari, maintenant j’avais besoin de prétextes pour l’aller rejoindre. Elle était avec ses enfants occupée à expliquer les règles du trictrac à Jacques.

— Voilà, dit le comte, toujours jaloux de l’affection qu’elle portait à ses deux enfants, voilà ceux pour lesquels je suis toujours abandonné. Les maris, mon cher Félix, ont toujours le dessous ; la femme la plus vertueuse trouve encore le moyen de satisfaire son besoin de voler l’affection conjugale.

Elle continua ses caresses sans répondre.

— Jacques, dit-il, venez ici !