Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/46

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du vieux garçon un orage épouvantable. Le chevalier de Valois, tout en prévoyant la tournure que prendrait l’affaire, ne se promettait pas autant de scandale qu’il devait y en avoir.

— Mon cher enfant, dit madame Granson à son fils, tu sais que nous allons dîner chez mademoiselle Cormon, prends un peu plus de soin de ta mise. Tu as tort de négliger la toilette, tu es fait comme un voleur. Mets ta belle chemise à jabot, ton habit vert de drap d’Elbeuf. J’ai mes raisons, ajouta-t-elle d’un air fin. D’ailleurs, mademoiselle Cormon part pour aller au Prébaudet, et il y aura chez elle beaucoup de monde. Quand un jeune homme est à marier, il doit se servir de tous ses moyens pour plaire. Si les filles voulaient dire la vérité, mon Dieu, mon enfant, tu serais bien étonné de savoir ce qui les amourache. Souvent, il suffit qu’un homme ait passé à cheval à la tête d’une compagnie d’artilleurs, ou qu’il se soit montré dans un bal avec des habits un peu justes. Souvent un certain air de tête, une pose mélancolique font supposer toute une vie ; nous nous forgeons un roman d’après le héros ; ce n’est souvent qu’une bête, mais le mariage est fait. Examine monsieur le chevalier de Valois, étudie-le, prends ses manières ; vois comme il se présente avec aisance, il n’a pas l’air emprunté comme toi. Parle un peu, ne dirait-on pas que tu ne sais rien, toi qui sais l’hébreu par cœur !

Athanase écouta sa mère d’un air étonné mais soumis, puis il se leva, prit sa casquette, et se rendit à la Mairie en se disant : — Ma mère aurait-elle deviné mon secret ? Il passa par la rue du Val-Noble, où demeurait mademoiselle Cormon, petit plaisir qu’il se donnait tous les matins, et il se disait alors mille choses fantasques : — Elle ne se doute certainement pas qu’il passe en ce moment devant sa maison un jeune homme qui l’aimerait bien, qui lui serait fidèle, qui ne lui donnerait jamais de chagrin ; qui lui laisserait la disposition de sa fortune, sans s’en mêler. Mon Dieu ! quelle fatalité ! dans la même ville, à deux pas l’une de l’autre, deux personnes se trouvent dans les conditions où nous sommes, et rien ne peut les rapprocher. Si ce soir je lui parlais ?

Pendant ce temps, Suzanne revenait chez sa mère en pensant au pauvre Athanase. Comme beaucoup de femmes ont pu le souhaiter pour des hommes adorés au delà des forces humaines, elle se sentait capable de lui faire avec son beau corps un marchepied pour qu’il atteignît promptement à sa couronne.