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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

fance, je connus mon adorable tante, la mort me l’enleva promptement. Monsieur de Mortsauf, à qui je me suis vouée, m’a constamment frappée, sans relâche, sans le savoir, pauvre homme ! Son amour a le naïf égoïsme de celui que nous portent nos enfants. Il n’est pas dans le secret des maux qu’il me cause, il est toujours pardonné ! Mes enfants, ces chers enfants qui tiennent à ma chair par toutes leurs douleurs, à mon âme par toutes leurs qualités, à ma nature par leurs joies innocentes ; ces enfants ne m’ont-ils pas été donnés pour montrer combien il se trouve de force et de patience dans le sein des mères ? Oh ! oui, mes enfants sont mes vertus ! Vous savez si je suis flagellée par eux, en eux, malgré eux. Devenir mère, pour moi ce fut acheter le droit de toujours souffrir. Quand Agar a crié dans le désert, un ange a fait jaillir pour cette esclave trop aimée une source pure, mais à moi, quand la source limpide vers laquelle (vous en souvenez-vous ?) vous vouliez me guider est venue couler autour de Clochegourde, elle ne m’a versé que des eaux amères. Oui, vous m’avez infligé des souffrances inouïes. Dieu pardonnera sans doute à qui n’a connu l’affection que par la douleur. Mais, si les plus vives peines que j’aie éprouvées m’ont été imposées par vous, peut-être les ai-je méritées. Dieu n’est pas injuste. Ah ! oui, Félix, un baiser furtivement déposé sur un front comporte des crimes peut-être ! Peut-être doit-on rudement expier les pas que l’on a faits en avant de ses enfants et de son mari, lorsqu’on se promenait le soir afin d’être seule avec des souvenirs et des pensées qui ne leur appartenaient pas, et qu’en marchant ainsi, l’âme était mariée à une autre ! Quand l’être intérieur se ramasse et se rapetisse pour n’occuper que la place que l’on offre aux embrassements, peut-être est-ce le pire des crimes ! Lorsqu’une femme se baisse afin de recevoir dans ses cheveux le baiser de son mari pour se faire un front neutre, il y a crime ! Il y a crime à se forger un avenir en s’appuyant sur la mort, crime à se figurer dans l’avenir une maternité sans alarmes, de beaux enfants jouant le soir avec un père adoré de toute sa famille, et sous les yeux attendris d’une mère heureuse. Oui, j’ai péché, j’ai grandement péché ! J’ai trouvé goût aux pénitences infligées par l’Église, et qui ne rachetaient point assez ces fautes pour lesquelles le prêtre fut sans doute trop indulgent. Dieu sans doute a placé la punition au cœur de toutes ces erreurs en chargeant de sa vengeance celui pour qui elles furent commises. Donner mes che-