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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

ce grave personnage implorant Dieu. Le vieux piqueur y était aussi, à quelques pas, la tête nue.

— Eh ! bien, monsieur ? dis-je à l’abbé de Dominis en baisant au front Jacques et Madeleine qui me jetèrent un regard froid, sans cesser leur prière. L’abbé se leva, je lui pris le bras pour m’y appuyer en lui disant : — Vit-elle encore ? Il inclina la tête par un mouvement triste et doux. — Parlez, je vous en supplie, au nom de la Passion de Notre Seigneur ! Pourquoi priez-vous au pied de cette croix ? pourquoi êtes-vous ici et non près d’elle ? pourquoi ses enfants sont-ils dehors par une si froide matinée ? dites-moi tout, afin que je ne cause pas quelque malheur par ignorance.

— Depuis plusieurs jours, madame la comtesse ne veut voir ses enfants qu’à des heures déterminées. — Monsieur, reprit-il après une pause, peut-être devriez-vous attendre quelques heures avant de revoir madame de Mortsauf, elle est bien changée ! mais il est utile de la préparer à cette entrevue, vous pourriez lui causer quelque surcroît de souffrance… Quant à la mort, ce serait un bienfait.

Je serrai la main de cet homme divin dont le regard et la voix caressaient les blessures d’autrui sans les aviver.

— Nous prions tous ici pour elle, reprit-il ; car elle, si sainte, si résignée, si faite à mourir, depuis quelques jours elle a pour la mort une horreur secrète, elle jette sur ceux qui sont pleins de vie des regards où, pour la première fois, se peignent des sentiments sombres et envieux. Ses vertiges sont excités, je crois, moins par l’effroi de la mort que par une ivresse intérieure, par les fleurs fanées de sa jeunesse qui fermentent en se flétrissant. Oui, le mauvais ange dispute cette belle âme au ciel. Madame subit sa lutte au mont des Oliviers, elle accompagne de ses larmes la chute des roses blanches qui couronnaient sa tête de Jephté mariée, et tombées une à une. Attendez, ne vous montrez pas encore, vous lui apporteriez les clartés de la cour, elle retrouverait sur votre visage un reflet des fêtes mondaines et vous rendriez de la force à ses plaintes. Ayez pitié d’une faiblesse que Dieu lui-même a pardonnée à son Fils devenu homme. Quels mérites aurions-nous d’ailleurs à vaincre sans adversaire ? Permettez que son confesseur ou moi, deux vieillards dont les ruines n’offensent point sa vue, nous la préparions à une entrevue inespérée, à des émotions auxquelles l’abbé Birotteau avait exigé qu’elle renonçât. Mais il est dans les choses