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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

faiblesse qui survint, et je la couchai tout habillée sur son lit.

— Une fois déjà, vous m’avez portée ainsi, me dit-elle en ouvrant les yeux.

Elle était bien légère, mais surtout bien ardente ; en la prenant, je sentis son corps entièrement brûlant. Monsieur Deslandes entra, fut étonné de trouver la chambre ainsi parée ; mais en me voyant tout lui parut expliqué.

— On souffre bien pour mourir, monsieur, dit-elle d’une voix altérée.

Il s’assit, tâta le pouls de sa malade, se leva brusquement, vint parler à voix basse au prêtre, et sortit ; je le suivis.

— Qu’allez-vous faire, lui demandai-je.

— Lui éviter une épouvantable agonie, me dit-il, Qui pouvait croire à tant de vigueur ? Nous ne comprenons comment elle vit encore qu’en pensant à la manière dont elle a vécu. Voici le quarante-deuxième jour que madame la comtesse n’a bu, ni mangé, ni dormi.

Monsieur Deslandes demanda Manette. L’abbé Birotteau m’emmena dans les jardins.

— Laissons faire le docteur, me dit-il. Aidé par Manette, il va l’envelopper d’opium. Eh ! bien, vous l’avez entendue, me dit-il, si toutefois elle est complice de ces mouvements de folie !…

— Non, dis-je, ce n’est plus elle.

J’étais hébété de douleur. Plus j’allais, plus chaque détail de cette scène prenait d’étendue. Je sortis brusquement par la petite porte au bas de la terrasse, et vins m’asseoir dans la toue, où je me cachai pour demeurer seul à dévorer mes pensées. Je tâchai de me détacher moi-même de cette force par laquelle je vivais ; supplice comparable à celui par lequel les Tartares punissaient l’adultère en prenant un membre du coupable dans une pièce de bois, et lui laissant un couteau pour se le couper, s’il ne voulait pas mourir de faim : leçon terrible que subissait mon âme, de laquelle il fallait me retrancher la plus belle moitié. Ma vie était manquée aussi ! Le désespoir me suggérait les plus étranges idées. Tantôt je voulais mourir avec elle, tantôt aller m’enfermer à la Meilleraye où venaient de s’établir les trappistes. Mes yeux ternis ne voyaient plus les objets extérieurs. Je contemplais les fenêtres de la chambre où souffrait Henriette, croyant y apercevoir la lumière qui l’éclairait pendant la nuit où je m’étais fiancé à elle. N’aurais-je pas dû