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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

administrer les derniers sacrements de l’Eglise. À neuf heures, elle s’éveilla doucement, nous regarda d’un œil surpris mais doux, et nous revîmes tous notre idole dans la beauté de ses beaux jours.

— Ma mère, tu es trop belle pour mourir, la vie et la santé te reviennent, cria Madeleine.

— Chère fille, je vivrai, mais en toi, dit-elle en souriant.

Ce fut alors des embrassements déchirants de la mère aux enfants et des enfants à la mère. Monsieur de Mortsauf baisa sa femme pieusement au front. La comtesse rougit en me voyant.

— Cher Félix, dit-elle, voici, je crois, le seul chagrin que je vous aurai donné, moi ! Mais oubliez ce que j’aurai pu vous dire, pauvre insensée que j’étais. Elle me tendit la main, je la pris pour la baiser, elle me dit alors avec son gracieux sourire de vertu : — Comme autrefois, Félix ?…

Nous sortîmes tous, et nous allâmes dans le salon pendant tout le temps que devait durer la dernière confession de la malade. Je me plaçai près de Madeleine. En présence de tous, elle ne pouvait me fuir sans impolitesse ; mais, à l’imitation de sa mère, elle ne regardait personne, et garda le silence sans jeter une seule fois les yeux sur moi.

— Chère Madeleine, lui dis-je à voix basse, qu’avez-vous contre moi ? Pourquoi des sentiments froids quand en présence de la mort chacun doit se réconcilier ?

— Je crois entendre ce que dit en ce moment ma mère, me répondit-elle en prenant l’air de tête qu’Ingres a trouvé pour sa Mère de Dieu, cette vierge déjà douloureuse et qui s’apprête à protéger le monde où son fils va périr.

— Et vous me condamnez au moment où votre mère m’absout, si toutefois je suis coupable.

Vous, et toujours vous !

Son accent trahissait une haine réfléchie comme celle d’un Corse, implacable comme sont les jugements de ceux qui, n’ayant pas étudié la vie n’admettent aucune atténuation aux fautes commises contre les lois du cœur. Une heure s’écoula dans un silence profond. L’abbé Birotteau revint après avoir reçu la confession générale de la comtesse de Mortsauf, et nous rentrâmes tous au moment où, suivant une de ces idées qui saisissent ces nobles âmes, toutes sœurs d’intention, Henriette s’était fait revêtir d’un long vêtement qui devait lui servir de linceul. Nous la trouvâmes sur son séant,