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LES RIVALITÉS: LA VIEILLE FILLE.

vie agitée à réfléchir sur les bienfaits du calme, diront que là était le bonheur.

Pour chiffrer l’importance du salon de mademoiselle Cormon, il suffira de dire que, statisticien né de la société, du Bousquier avait calculé que les personnes qui le hantaient possédaient cent trente et une voix au Collége électoral et réunissaient dix-huit cent mille livres de rente en fonds de terre dans la province. La ville d’Alençon n’était cependant pas entièrement représentée par ce salon, la haute compagnie aristocratique avait le sien, puis le salon du Receveur-Général était comme une auberge administrative due par le gouvernement où toute la société dansait, intriguait, papillonnait, aimait et soupait. Ces deux autres salons communiquaient au moyen de quelques personnes mixtes avec la maison Cormon, et vice versâ ; mais le salon Cormon jugeait sévèrement ce qui se passait dans ces deux autres camps : on y critiquait le luxe des dîners, on y ruminait les glaces des bals, on discutait la conduite des femmes, les toilettes, les inventions nouvelles qui s’y produisaient.

Mademoiselle Cormon, espèce de raison sociale sous laquelle se comprenait une imposante coterie, devait donc être le point de mire de deux ambitieux aussi profonds que le chevalier de Valois et du Bousquier. Pour l’un et pour l’autre, là était la Députation ; et par suite, la pairie pour le noble, une Recette Générale pour le fournisseur. Un salon dominateur se crée aussi difficilement en province qu’à Paris, et celui-là se trouvait tout créé. Épouser mademoiselle Cormon, c’était régner sur Alençon. Athanase, le seul des trois prétendants à la main de la vieille fille qui ne calculât plus rien, aimait alors la personne autant que la fortune. Pour employer le jargon du jour, n’y avait-il pas un singulier drame dans la situation de ces quatre personnages ? Ne se rencontrait-il pas quelque chose de bizarre dans ces trois rivalités silencieusement pressées autour d’une vieille fille qui ne les devinait pas malgré un effroyable et légitime désir de se marier ? Mais quoique toutes ces circonstances rendent le célibat de cette fille une chose extraordinaire, il n’est pas difficile d’expliquer comment et pourquoi, malgré sa fortune et ses trois amoureux, elle était encore à marier. D’abord, selon la jurisprudence de sa maison, mademoiselle Cormon avait toujours eu le désir d’épouser un gentilhomme ; mais, de 1789 à 1799, les circonstances furent très-défavorables à ses prétentions. Si elle voulait être femme de condition, elle avait une horrible peur du tribu-