Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/69

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— À quoi pense donc Josette ! s’écriait-elle. Josette ne prend donc garde à rien ?

Mademoiselle demandait pendant huit jours si Pénélope avait eu son avoine à deux heures, parce qu’une seule fois Jacquelin s’était attardé. Sa petite imagination travaillait sur des bagatelles. Une couche de poussière oubliée par le plumeau, des tranches de pain mal grillées par Mariette, le retard apporté par Jacquelin à venir fermer les fenêtres sur lesquelles donnait le soleil dont les rayons mangeaient les couleurs du meuble, toutes ces grandes petites choses engendraient de graves querelles où mademoiselle s’emportait. Tout changeait donc, s’écriait-elle, elle ne reconnaissait plus ses serviteurs d’autrefois ; ils se gâtaient, elle était trop bonne. Un jour Josette lui donna la Journée du Chrétien au lieu de la Quinzaine de Pâques. Toute la ville apprit le soir ce malheur. Mademoiselle avait été forcée de revenir de Saint-Léonard chez elle, et son départ subit de l’église, où elle avait dérangé toutes les chaises, fit supposer des énormités. Elle fut donc obligée de dire à ses amis la cause de cet accident.

— Josette, avait-elle dit avec douceur, que pareille chose n’arrive plus !

Mademoiselle Cormon était, sans s’en douter, très-heureuse de ces petites querelles qui servaient d’émonctoire à ses acrimonies. L’esprit a ses exigences ; il a, comme le corps, sa gymnastique. Ces inégalités d’humeur furent acceptées par Josette et Jacquelin, comme les intempéries de l’atmosphère le sont par le laboureur. Ces trois bonnes gens disaient : « Il fait beau temps ou il pleut ! » sans accuser le ciel. Parfois, en se levant, le matin dans la cuisine, ils se demandaient dans quelle humeur se lèverait mademoiselle, comme un fermier consulte les brumes de l’aurore. Enfin nécessairement mademoiselle Cormon avait fini par se contempler elle-même dans les infiniment petits de sa vie. Elle et Dieu, son confesseur et ses lessives, ses confitures à faire et les offices à entendre, son oncle à soigner avaient absorbé sa faible intelligence. Pour elle, les atomes de la vie se grossissaient en vertu d’une optique particulière aux gens égoïstes par nature ou par hasard. Sa santé si parfaite donnait une valeur effrayante au moindre embarras survenu dans les tubes digestifs. Elle vivait d’ailleurs sous la férule de la médecine de nos aïeux, et prenait par an quatre médecines de précaution à faire crever Pénélope, mais qui la ragaillardissaient. Si Josette, en