Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

quelques pots de fleurs plus loin, pour faire comprendre à l’interrupteur qu’il ne voulait pas être espionné.

— Comment voulez-vous, dit le chevalier à voix basse en se penchant à l’oreille de mademoiselle Cormon, que les jeunes gens élevés dans ces détestables lycées impériaux aient des idées ? C’est les bonnes mœurs et les nobles habitudes qui produisent les grandes idées et les belles amours. Il n’est pas difficile, en le voyant, de deviner que ce pauvre garçon deviendra tout à fait imbécile, et mourra tristement. Voyez comme il est pâle, hâve ?

— Sa mère prétend qu’il travaille beaucoup trop, répondit innocemment la vieille fille ; il passe les nuits, mais à quoi ? à lire des livres, à écrire. Quel état cela peut-il donner à un jeune homme d’écrire pendant la nuit ?

— Mais cela l’épuise, reprit le chevalier en essayant de ramener la pensée de la vieille fille sur le terrain où il espérait lui voir prendre Athanase en horreur. Les mœurs de ces lycées impériaux étaient vraiment horribles.

— Oh ! oui, dit l’ingénue mademoiselle Cormon. Ne les menait-on pas promener avec les tambours en tête ? Leurs maîtres n’avaient pas autant de religion qu’en ont les païens. Et on mettait ces pauvres enfants en uniforme, absolument comme les troupes. Quelles idées !

— Voilà quels en sont les produits, dit le chevalier en montrant Athanase. De mon temps, un jeune homme aurait-il jamais eu honte de regarder une jolie femme : et il baisse les yeux quand il vous voit ! Ce jeune homme m’effraie parce qu’il m’intéresse. Dites-lui de ne pas intriguer avec les bonapartistes comme il fait pour cette salle de spectacle ; quand ces petits jeunes gens ne la demanderont pas insurrectionnellement, car ce mot est pour moi le synonyme de constitutionnellement, l’autorité la construira. Puis, dites à sa mère de veiller sur lui.

— Oh ! elle l’empêchera de voir ces gens en demi-solde et la mauvaise société, j’en suis sûre. Je vais lui parler, dit mademoiselle Cormon, car il pourrait perdre sa place à la Mairie. Et de quoi lui et sa mère vivraient-ils ?… Cela fait frémir.

Comme monsieur de Talleyrand le disait de sa femme, le chevalier se dit en lui-même, en regardant mademoiselle Cormon : — Qu’on m’en trouve une plus bête ? Foi de gentilhomme ! la vertu qui ôte l’intelligence n’est-elle pas un vice ? Mais quelle adorable