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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

toilette donc ! Si j’étais surprise ainsi par monsieur de Troisville, sans mon oncle pour le recevoir ! Oh ! mon oncle, mon oncle ! Viens, Josette, tu vas m’habiller.

— Mais Pénélope ! dit imprudemment Josette.

Les yeux de mademoiselle Cormon étincelèrent pour la seule fois de sa vie : — Toujours Pénélope ! Pénélope par ci, Pénélope par là ! Est-ce donc Pénélope qui est la maîtresse ?

— Mais elle est en nage et n’a pas mangé l’avoine !

— Et qu’elle crève ! s’écria mademoiselle Cormon ; mais que je me marie, pensa-t-elle.

En entendant ce mot qui lui parut un homicide, Josette resta pendant un moment interdite ; puis elle dégringola le perron à un geste que lui fit sa maîtresse.

— Mademoiselle a le diable au corps, Jacquelin ! fut la première parole de Josette.

Ainsi tout fut d’accord dans cette journée pour produire le grand coup de théâtre qui décida de la vie de mademoiselle Cormon. La ville était déjà cen dessus-dessous par suite des cinq circonstances aggravantes qui accompagnaient le retour subit de mademoiselle Cormon, à savoir : la pluie battante, le galop de Pénélope essoufflée, en sueur et les flancs rentrés ; l’heure matinale, les paquets en désordre, et l’air singulier de la vieille fille effarée. Mais quand Mariette fit son invasion au marché pour y tout enlever, quand Jacquelin vint chez le principal tapissier d’Alençon, rue de la Porte de Séez, à deux pas de l’église, pour y chercher un lit, il y eut matière aux conjectures les plus graves. On discuta cette étrange aventure au Cours, sur la Promenade ; elle occupa tout le monde, et même mademoiselle de Gordes chez qui se trouvait le chevalier de Valois. À deux jours de distance, la ville d’Alençon était remuée par des événements si capitaux, que quelques bonnes femmes disaient : — Mais c’est la fin du monde ! Cette dernière nouvelle se résuma dans toutes les maisons par cette phrase : — Qu’arrive-t-il donc chez les Cormon ? L’abbé de Sponde, questionné fort adroitement quand il sortit de Saint-Léonard pour aller se promener au Cours avec l’abbé Couturier, répondit bonifacement qu’il attendait le vicomte de Troisville, gentilhomme au service de Russie pendant l’émigration, et qui revenait habiter Alençon. De deux à cinq heures, une espèce de télégraphe labial joua dans la ville et apprit à tous les habitants que mademoiselle Cormon avait enfin trouvé un