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LES RIVALITÉS: LA VIEILLE FILLE.

bres pour obtenir d’eux leurs plus belles roulades. Enfin, sur les quatre heures, au moment même où l’abbé de Sponde rentrait, où mademoiselle croyait avoir vainement mis le couvert le plus coquet, apprêté le plus délicat des dîners, le clic-clac d’un postillon se fit entendre dans le Val-Noble.

C’est lui ! se dit-elle en recevant les coups de fouet dans le cœur.

En effet, annoncé par tant de cancans, un certain cabriolet de poste où se trouvait un monsieur seul avait fait une si grande sensation en descendant la rue Saint-Blaise et tournant la rue du Cours, que quelques petits gamins et de grandes personnes l’avaient suivi, et restaient groupés autour de la porte de l’hôtel Cormon pour le voir entrer. Jacquelin, qui flairait aussi son propre mariage, avait entendu le clic-clac dans la rue Saint-Blaise, il avait ouvert la grand’porte à deux battants. Le postillon, qui était de sa connaissance, mit sa gloire à bien tourner, et arrêta net au perron. Quant au postillon, vous comprenez qu’il s’en alla bien et dûment grisé par Jacquelin. L’abbé vint au-devant de son hôte dont la voiture fut dépouillée avec la prestesse qu’auraient pu y mettre des voleurs pressés. Elle fut remisée, la grand’porte fut fermée, et il n’y eut plus de traces de l’arrivée de monsieur de Troisville en quelques minutes. Jamais deux substances chimiques ne se marièrent avec plus de promptitude que la maison Cormon n’en mit à absorber le vicomte de Troisville. Mademoiselle, de qui le cœur battait comme à un lézard pris par un pâtre, resta héroïquement dans sa bergère, au coin du feu. Josette ouvrit la porte, et le vicomte de Troisville suivi de l’abbé de Sponde se produisit aux regards de la vieille fille.

— Ma nièce, voici monsieur le vicomte de Troisville, le petit-fils d’un de mes camarades de collége. — Monsieur de Troisville, voici ma nièce, mademoiselle Cormon.

— Ah ! le bon oncle, comme il pose bien la question ! pensa Rose-Marie-Victoire.

Le vicomte de Troisville était, pour le peindre en deux mots, du Bousquier gentilhomme. Il y avait entre eux toute la différence qui sépare le genre vulgaire et le genre noble. S’ils avaient été là tous deux, il eût été impossible au libéral le plus enragé de nier l’aristocratie. La force du vicomte avait toute la distinction de l’élégance ; ses formes conservaient une dignité magnifique ; il avait des yeux bleus et des cheveux noirs, un teint olivâtre, et il ne devait pas