Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/123

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lence, comme dans la nature à l’approche d’un orage. Châtelet, qui était revenu, regarda tour à tour d’une façon très-significative monsieur de Bargeton et Stanislas, que le mari offensé aborda poliment.

Du Châtelet comprit le sens d’une visite faite à une heure où ce vieillard était toujours couché : Naïs agitait évidemment ce bras débile ; et comme sa position auprès d’Amélie lui donnait le droit de se mêler des affaires du ménage, il se leva, prit monsieur de Bargeton à part et lui dit : — Vous voulez parler à Stanislas ?

— Oui, dit le bonhomme heureux d’avoir un entremetteur qui peut-être prendrait la parole pour lui.

— Eh ! bien, allez dans la chambre à coucher d’Amélie, lui répondit le Directeur des Contributions, heureux de ce duel qui pouvait rendre madame de Bargeton veuve en lui interdisant d’épouser Lucien, la cause du duel.

— Stanislas, dit du Châtelet à monsieur de Chandour, Bargeton vient sans doute vous demander raison des propos que vous tenez sur Naïs. Venez chez votre femme, et conduisez-vous tous deux en gentilshommes. Ne faites point de bruit, affectez beaucoup de politesse, ayez enfin toute la froideur d’une dignité britannique.

En un moment Stanislas et du Châtelet vinrent trouver Bargeton.

— Monsieur, dit le mari offensé, vous prétendez avoir trouvé madame de Bargeton dans une situation équivoque avec monsieur de Rubempré ?

— Avec monsieur Chardon, reprit ironiquement Stanislas qui ne croyait pas Bargeton un homme fort.

— Soit, reprit le mari. Si vous ne démentez pas ce propos en présence de la société qui est chez vous en ce moment, je vous prie de prendre un témoin. Mon beau-père, monsieur de Nègrepelisse, viendra vous chercher à quatre heures du matin. Faisons chacun nos dispositions, car l’affaire ne peut s’arranger que de la manière que je viens d’indiquer. Je choisis le pistolet, je suis l’offensé.

Durant le chemin, monsieur de Bargeton avait ruminé ce discours, le plus long qu’il eût fait en sa vie, il le dit sans passion et de l’air le plus simple du monde. Stanislas pâlit et se dit en lui-même : — Qu’ai-je vu, après tout ? Mais, entre la honte de démentir ses propos devant toute la ville, en présence de ce muet qui paraissait ne pas vouloir entendre raillerie, et la peur, la hideuse