Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/125

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sieur de Chandour a dit hier qu’il t’avait surpris avec madame de Bargeton.

— C’est faux ! madame de Bargeton est innocente, s’écria Lucien.

— Un homme de la campagne à qui j’ai entendu raconter les détails avait tout vu de dessus sa charrette. Monsieur de Nègrepelisse était venu dès trois heures du matin pour assister monsieur de Bargeton ; il a dit à monsieur de Chandour que s’il arrivait malheur à son gendre, il se chargeait de le venger. Un officier du régiment de cavalerie a prêté ses pistolets, ils ont été essayés à plusieurs reprises par monsieur de Nègrepelisse. Monsieur du Châtelet voulait s’opposer à ce qu’on exerçât les pistolets, mais l’officier que l’on avait pris pour arbitre a dit qu’à moins de se conduire comme des enfants, on devait se servir d’armes en état. Les témoins ont placé les deux adversaires à vingt-cinq pas l’un de l’autre. Monsieur de Bargeton, qui était là comme s’il se promenait, a tiré le premier, et logé une balle dans le cou de monsieur de Chandour, qui est tombé sans pouvoir riposter. Le chirurgien de l’hôpital a déclaré tout à l’heure que monsieur de Chandour aura le cou de travers pour le reste de ses jours. Je suis venue te dire l’issue de ce duel pour que tu n’ailles pas chez madame de Bargeton, ou que tu ne te montres pas dans Angoulême, car quelques amis de monsieur de Chandour pourraient te provoquer.

En ce moment, Gentil, le valet de chambre de monsieur de Bargeton, entra conduit par l’apprenti de l’imprimerie, et remit à Lucien une lettre de Louise.

« Vous avez sans doute appris, mon ami, l’issue du duel entre Chandour et mon mari. Nous ne recevrons personne aujourd’hui ; soyez prudent, ne vous montrez pas, je vous le demande au nom de l’affection que vous avez pour moi. Ne trouvez-vous pas que le meilleur emploi de cette triste journée est de venir écouter votre Béatrix, dont la vie est toute changée par cet événement et qui a mille choses à vous dire ? »

— Heureusement, dit David, mon mariage est arrêté pour après-demain ; tu auras une occasion d’aller moins souvent chez madame de Bargeton.

— Cher David, répondit Lucien, elle me demande de venir la voir aujourd’hui ; je crois qu’il faut lui obéir, elle saura mieux que nous comment je dois me conduire dans les circonstances actuelles.

— Tout est donc prêt ici ? demanda madame Chardon.