Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

assez poétiquement épars. Le père Doguereau, comme l’avait surnommé Porchon, tenait par l’habit, par la culotte et par les souliers au professeur de belles-lettres, et au marchand par le gilet, la montre et les bas. Sa physionomie ne démentait point cette singulière alliance : il avait l’air magistral, dogmatique, la figure creusée du maître de rhétorique, et les yeux vifs, la bouche soupçonneuse, l’inquiétude vague du libraire.

— Monsieur Doguereau ? dit Lucien.

— C’est moi, monsieur…

— Je suis auteur d’un roman, dit Lucien.

— Vous êtes bien jeune, dit le libraire.

— Mais, monsieur, mon âge ne fait rien à l’affaire.

— C’est juste, dit le vieux libraire en prenant le manuscrit. Ah, diantre ! L’Archer de Charles IX, un bon titre. Voyons, jeune homme, dites-moi votre sujet en deux mots.

— Monsieur, c’est une œuvre historique dans le genre de Walter Scott, où le caractère de la lutte entre les protestants et les catholiques est présenté comme un combat entre deux systèmes de gouvernement, et où le trône était sérieusement menacé. J’ai pris parti pour les catholiques.

— Hé ! mais, jeune homme, voilà des idées. Eh ! bien, je lirai votre ouvrage, je vous le promets. J’aurais mieux aimé un roman dans le genre de madame Radcliffe ; mais si vous êtes travailleur, si vous avez un peu de style, de la conception, des idées, l’art de la mise en scène, je ne demande pas mieux que de vous être utile. Que nous faut-il ?…. de bons manuscrits.

— Quand pourrai-je venir ?

— Je vais ce soir à la campagne, je serai de retour après-demain, j’aurai lu votre ouvrage, et s’il me va, nous pourrons traiter le jour même.

Lucien, le voyant si bonhomme, eut la fatale idée de sortir le manuscrit des Marguerites.

— Monsieur, j’ai fait aussi un recueil de vers…

— Ah ! vous êtes poète, je ne veux plus de votre roman, dit le vieillard en lui tendant le manuscrit. Les rimailleurs échouent quand ils veulent faire de la prose. En prose, il n’y a pas de chevilles, il faut absolument dire quelque chose.

— Mais, monsieur, Walter Scott a fait des vers aussi.....

— C’est vrai, dit Doguereau qui se radoucit, devina la pénurie