Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

chaises garnies de basane bleue dont les dossiers représentaient des lyres. Les deux fenêtres grossièrement cintrées, et par où l’œil embrassait la place du Mûrier, étaient sans rideaux ; la cheminée n’avait ni flambeaux, ni pendule, ni glace. Madame Séchard était morte au milieu de ses projets d’embellissement, et l’Ours ne devinant pas l’utilité d’améliorations qui ne rapportaient rien, les avait abandonnées. Ce fut là que, pede titubante, Jérôme-Nicolas Séchard amena son fils et lui montra sur la table ronde un état du matériel de son imprimerie dressé sous sa direction par le prote.

— Lis cela, mon garçon, dit Jérôme-Nicolas Séchard en roulant ses yeux ivres du papier à son fils et de son fils au papier. Tu verras quel bijou d’imprimerie je te donne.

— Trois presses en bois maintenues par des barres en fer, à marbre en fonte….

— Une amélioration que j’ai faite, dit le vieux Séchard en interrompant son fils.

— Avec tous leurs ustensiles : encriers ; balles et bancs, etc., seize cents francs ! Mais, mon père, dit David Séchard en laissant tomber l’inventaire, vos presses sont des sabots qui ne valent pas cent écus, et dont il faut faire du feu.

— Des sabots ?… s’écria le vieux Séchard, des sabots ?… Prends l’inventaire et descendons ! Tu vas voir si vos inventions de méchante serrurerie manœuvrent comme ces bons vieux outils éprouvés. Après, tu n’auras pas le cœur d’injurier d’honnêtes presses qui roulent comme des voitures en poste, et qui iront encore pendant toute ta vie sans nécessiter la moindre réparation. Des sabots ! Oui, c’est des sabots où tu trouveras du sel pour cuire des œufs ! des sabots que ton père a manœuvrés pendant vingt ans, qui lui ont servi à te faire ce que tu es.

Le père dégringola l’escalier raboteux, usé, tremblant, sans y chavirer ; il ouvrit la porte de l’allée qui donnait dans l’atelier, se précipita sur la première de ses presses sournoisement huilées et nettoyées, il montra les fortes jumelles en bois de chêne frotté par son apprenti.

— Est-ce là un amour de presse ? dit-il.

Il s’y trouvait le billet de faire part d’un mariage. Le vieil Ours abaissa la frisquette sur le tympan, et le tympan sur le marbre qu’il fit rouler sous la presse ; il tira le barreau, déroula la corde pour ramener le marbre, releva tympan et frisquette avec l’agi-