Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pondant à Paris, rue Serpente. Mon bon Lucien, nous n’avons absolument rien. Ma femme s’est mise à diriger l’imprimerie, et s’acquitte de sa tâche avec un dévouement, une patience, une activité qui me font bénir le ciel de m’avoir donné pour femme un pareil ange. Elle-même a constaté l’impossibilité où nous sommes de t’envoyer le plus léger secours. Mais, mon ami, je te crois dans un si beau chemin, accompagné de cœurs si grands et si nobles, que tu ne saurais faillir à ta belle destinée en te trouvant aidé par les intelligences presque divines de messieurs Daniel d’Arthez, Michel Chrestien et Léon Giraud, conseillé par messieurs Meyraux, Bianchon et Ridal que ta chère lettre nous a fait connaître. À l’insu d’Ève, je t’ai donc souscrit cet effet, que je trouverai moyen d’acquitter à l’échéance. Ne sors pas de ta voie : elle est rude ; mais elle sera glorieuse. Je préférerais souffrir mille maux à l’idée de te savoir tombé dans quelques bourbiers de Paris où j’en ai tant vu. Aie le courage d’éviter, comme tu le fais, les mauvais endroits, les méchantes gens, les étourdis et certains gens de lettres que j’ai appris à estimer à leur juste valeur pendant mon séjour à Paris. Enfin, sois le digne émule de ces esprits célestes que tu m’as rendus chers. Ta conduite sera bientôt récompensée. Adieu, mon frère bien-aimé, tu m’as ravi le cœur, je n’avais pas attendu de toi tant de courage.

David. »


LETTRE D’ÈVE SÉCHARD À LUCIEN CHARDON.

« Mon ami, ta lettre nous a fait pleurer tous. Que ces nobles cœurs vers lesquels ton bon ange te guide le sachent : une mère, une pauvre jeune femme prieront Dieu soir et matin pour eux ; et si les prières les plus ferventes montent jusqu’à son trône, elles obtiendront quelques faveurs pour vous tous. Oui, mon frère, leurs noms sont gravés dans mon cœur. Ah ! je les verrai quelque jour. J’irai, dussé-je faire la route à pied les remercier de leur amitié pour toi, car elle a répandu comme un baume sur mes plaies vives. Ici mon ami nous travaillons comme de pauvres ouvriers. Mon mari, ce grand homme inconnu que j’aime chaque jour davantage en découvrant de moments en moments de nouvelles richesses dans son cœur, délaisse son imprimerie, et je devine pourquoi : ta misère, la nôtre, celle de notre mère l’assassinent.