Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/210

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secrétaire, un fauteuil d’acajou, un panier à papiers et un tapis oblong appelé devant de cheminée ; le tout couvert d’une épaisse couche de poussière. Les fenêtres n’avaient que de petits rideaux. Sur le haut de ce secrétaire, il y avait environ vingt ouvrages déposés pendant la journée, des gravures, de la musique, des tabatières à la Charte, un exemplaire de la neuvième édition du Solitaire, toujours la grande plaisanterie du moment, et une dizaine de lettres cachetées. Quand Lucien eut inventorié cet étrange mobilier, eut fait des réflexions à perte de vue, que cinq heures eurent sonné, il revint à l’invalide pour le questionner. Coloquinte avait fini sa croûte et attendait avec la patience du factionnaire le militaire décoré qui peut-être se promenait sur le boulevard. En ce moment, une femme parut sur le seuil de la porte après avoir fait entendre le murmure de sa robe dans l’escalier et ce léger pas féminin si facile à reconnaître. Elle était assez jolie.

— Monsieur, dit-elle à Lucien, je sais pourquoi vous vantez tant les chapeaux de mademoiselle Virginie, et je viens vous demander d’abord un abonnement d’un an ; mais dites-moi ses conditions…

— Madame, je ne suis pas du journal.

— Ah !

— Un abonnement à dater d’octobre ? demanda l’invalide.

— Que réclame madame ? dit le vieux militaire qui reparut.

Le vieil officier entra en conférence avec la belle marchande de modes. Quand Lucien, impatienté d’attendre, rentra dans la première pièce, il entendit cette phrase finale : — Mais je serai très-enchantée, monsieur. Mademoiselle Florentine pourra venir à mon magasin et choisira ce qu’elle voudra. Je tiens les rubans. Ainsi tout est bien entendu : vous ne parlerez plus de Virginie, une saveteuse incapable d’inventer une forme, tandis que j’invente, moi !

Lucien entendit tomber un certain nombre d’écus dans la caisse. Puis le militaire se mit à faire son compte journalier.

— Monsieur, je suis là depuis une heure, dit le poète d’un air assez fâché.

Ils ne sont pas venus, dit le vétéran napoléonien en manifestant un émoi par politesse. Ça ne m’étonne pas. Voici quelque temps que je ne les vois plus. Nous sommes au milieu du mois, voyez-vous. Ces lapins-là ne viennent que quand on paye, entre les 29 et les 30.