La bonhomie de camarade, qui succédait au cri violent du poète peignant la guerre littéraire, toucha Lucien tout aussi vivement qu’il l’avait été naguère à la même place par la parole grave et religieuse de d’Arthez. Animé par la perspective d’une lutte immédiate entre les hommes et lui, l’inexpérimenté jeune homme ne soupçonna point la réalité des malheurs moraux que lui dénonçait le journaliste. Il ne se savait pas placé entre deux voies distinctes, entre deux systèmes représentés par le Cénacle et par le Journalisme, dont l’un était long, honorable, sûr ; l’autre semé d’écueils et périlleux, plein de ruisseaux fangeux où devait se crotter sa conscience. Son caractère le portait à prendre le chemin le plus court, en apparence le plus agréable, à saisir les moyens décisifs et rapides. Il ne vit en ce moment aucune différence entre la noble amitié de d’Arthez et la facile camaraderie de Lousteau. Cet esprit mobile aperçut dans le Journal une arme à sa portée, il se sentait habile à la manier, il la voulut prendre. Ébloui par les offres de son nouvel ami dont la main frappa la sienne avec un laissez-aller qui lui parut gracieux, pouvait-il savoir que, dans l’armée de la Presse, chacun a besoin d’amis, comme les généraux ont besoin de soldats ! Lousteau, lui voyant de la résolution, le racolait en espérant se l’attacher. Le journaliste en était à son premier ami, comme Lucien à son premier protecteur : l’un voulait passer caporal, l’autre voulait être soldat.
Lucien revint joyeusement à son hôtel, où il fit une toilette aussi soignée que le jour néfaste où il avait voulu se produire dans la loge de la marquise d’Espard à l’Opéra. Mais déjà ses habits lui allaient mieux, il se les était appropriés. Il mit son beau pantalon collant de couleur claire, de jolies bottes à glands qui lui avaient coûté quarante francs, et son habit de bal. Ses abondants et fins cheveux blonds, il les fit friser, parfumer, ruisseler en boucles brillantes. Son front se para d’une audace puisée dans le sentiment de sa valeur et de son avenir. Ses mains de femme furent soignées, leurs ongles en amande devinrent nets et rosés. Sur son col de satin noir, les blanches rondeurs de son menton étincelèrent. Jamais un plus joli jeune homme ne descendit la montagne du pays latin. Lucien était beau comme un dieu grec. Il prit un fiacre, et fut à sept heures moins un quart à la porte de la maison du café Servel. La portière l’invita à grimper quatre étages en lui donnant des notions topographiques assez compliquées. Armé de ces renseigne-