Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/265

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mes. Coralie montrait une sublime figure hébraïque, ce long visage ovale d’un ton d’ivoire blond, à bouche rouge comme une grenade, à menton fin comme le bord d’une coupe. Sous des paupières chaudes et comme brûlées par une prunelle de jais, sous des cils recourbés, on devinait un regard languissant où scintillaient à propos les ardeurs du désert. Ces yeux étaient entourés d’un cercle olivâtre, et surmontés de sourcils arqués et fournis. Sur un front brun, couronné de deux bandeaux d’ébène où brillaient alors les lumières comme sur du vernis, siégeait une magnificence de pensée qui aurait pu faire croire à du génie. Mais Coralie, semblable à beaucoup d’actrices, était sans esprit malgré son nez ironique et fin, sans instruction malgré son expérience ; elle n’avait que l’esprit des sens et la bonté des femmes amoureuses. Pouvait-on d’ailleurs s’occuper du moral, quand elle éblouissait le regard avec ses bras ronds et polis, ses doigts tournés en fuseaux, ses épaules dorées, avec la gorge chantée par le Cantique des Cantiques, avec un col mobile et recourbé, avec des jambes d’une élégance adorable, et chaussées en soie rouge ? Ces beautés d’une poésie vraiment orientale étaient encore mises en relief par le costume espagnol convenu dans nos théâtres. Coralie faisait la joie de la salle où tous les yeux serraient sa taille bien prise dans sa basquine, et flattaient sa croupe andalouse qui imprimait des torsions lascives à la jupe. Il y eut un moment où Lucien, en voyant cette créature jouant pour lui seul, se souciant de Camusot autant que le gamin du paradis se soucie de la pelure d’une pomme, mit l’amour sensuel au-dessus de l’amour pur, la jouissance au-dessus du désir, et le démon de la luxure lui souffla d’atroces pensées.

« J’ignore tout de l’amour qui se roule dans la bonne chère, dans le vin, dans les joies de la matière, se dit-il. J’ai plus encore vécu par la Pensée que par le Fait. Un homme qui veut tout peindre doit tout connaître. Voici mon premier souper fastueux, ma première orgie avec un monde étrange, pourquoi ne goûterais-je pas une fois ces délices si célèbres où se ruaient les grands seigneurs du dernier siècle en vivant avec des impures ? Quand ce ne serait que pour les transporter dans les belles régions de l’amour vrai, ne faut-il pas apprendre les joies, les perfections, les transports, les ressources, les finesses de l’amour des courtisanes et des actrices ? N’est-ce pas, après tout, la poésie des sens ? Il y a deux mois, ces femmes me semblaient des divinités gardées par des dragons inabordables ; en voilà