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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/283

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aujourd’hui contre celui du roi, ce même gouvernement au moment où il leur refuserait quoi que ce fût. Plus on fera de concessions aux journalistes, plus les journaux seront exigeants. Les journalistes parvenus seront remplacés par des journalistes affamés et pauvres. La plaie est incurable, elle sera de plus en plus maligne, le plus en plus insolente ; et plus le mal sera grand, plus il sera toléré, jusqu’au jour où la confusion se mettra dans les journaux par leur abondance, comme à Babylone. Nous savons, tous tant que nous sommes, que les journaux iront plus loin que les rois en ingratitude, plus loin que le plus sale commerce en spéculations et en calculs, qu’ils dévoreront nos intelligences à vendre tous les matins leur trois-six cérébral ; mais nous y écrirons tous, comme ces gens qui exploitent une mine de vif-argent en sachant qu’ils y mourront. Voilà là-bas, à côté de Coralie, un jeune homme… comment se nomme-t-il ? Lucien ! il est beau, il est poète, et, ce qui vaut mieux pour lui, homme d’esprit ; eh ! bien, il entrera dans quelques-uns de ces mauvais lieux de la pensée appelés journaux, il y jettera ses plus belles idées, il y desséchera son cerveau, il y corrompra son âme, il y commettra ces lâchetés anonymes qui, dans la guerre des idées, remplacent les stratagèmes, les pillages, les incendies, les revirements de bord dans la guerre des condottieri. Quand il aura, lui, comme mille autres, dépensé quelque beau génie au profit des actionnaires, ces marchands de poison le laisseront mourir de faim s’il a soif, et de soif s’il a faim.

— Merci, dit Finot.

— Mais, mon Dieu, dit Claude Vignon, je savais cela, je suis dans le bagne, et l’arrivée d’un nouveau forçat me fait plaisir. Blondet et moi, nous sommes plus forts que messieurs tels et tels qui spéculent sur nos talents, et nous serons néanmoins toujours exploités par eux. Nous avons du cœur sous notre intelligence, il nous manque les féroces qualités de l’exploitant. Nous sommes paresseux, contemplateurs, méditatifs, jugeurs : on boira notre cervelle et l’on nous accusera d’inconduite !

— J’ai cru que vous seriez plus drôles, s’écria Florine.

— Florine a raison, dit Blondet, laissons la cure des maladies publiques à ces charlatans d’hommes d’État. Comme dit Charlet : Cracher sur la vendange ? jamais !

— Savez-vous de quoi Vignon me fait l’effet ? dit Lousteau en montrant Lucien, d’une de ces grosses femmes de la rue du Péli-