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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/293

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liste avec des illusions. Vous croyez aux amis. Nous sommes tous amis ou ennemis selon les circonstances. Nous nous frappons les premiers avec l’arme qui devrait ne nous servir qu’à frapper les autres. Vous vous apercevrez avant peu que vous n’obtiendrez rien par les beaux sentiments. Si vous êtes bon, faites-vous méchant. Soyez hargneux par calcul. Si personne ne vous a dit cette loi suprême, je vous la confie et je ne vous aurai pas fait une médiocre confidence. Pour être aimé, ne quittez jamais votre maîtresse sans l’avoir fait pleurer un peu ; pour faire fortune en littérature, blessez toujours tout le monde, même vos amis, faites pleurer les amours-propres : tout le monde vous caressera.

Hector Merlin fut heureux en voyant à l’air de Lucien que sa parole entrait chez le néophyte comme la lame d’un poignard dans un cœur. On joua. Lucien perdit tout son argent. Il fut emmené par Coralie, et les délices de l’amour lui firent oublier les terribles émotions du Jeu qui, plus tard, devait trouver en lui l’une de ses victimes. Le lendemain, en sortant de chez elle et revenant au quartier latin, il trouva dans sa bourse l’argent qu’il avait perdu. Cette attention l’attrista d’abord, il voulut revenir chez l’actrice et lui rendre un don qui l’humiliait ; mais il était déjà rue de La Harpe, il continua son chemin vers l’hôtel Cluny. Tout en marchant, il s’occupa de ce soin de Coralie, il y vit une preuve de cet amour maternel que ces sortes de femmes mêlent à leurs passions. Chez elles, la passion comporte tous les sentiments. De pensée en pensée, Lucien finit par trouver une raison d’accepter en se disant : — Je l’aime, nous vivrons ensemble comme mari et femme, et je ne la quitterai jamais ! À moins d’être Diogène, qui ne comprendrait alors les sensations de Lucien en montant l’escalier boueux et puant de son hôtel, en faisant grincer la serrure de sa porte, en revoyant le carreau sale et la piteuse cheminée de sa chambre horrible de misère et de nudité ? Il trouva sur sa table le manuscrit de son roman et ce mot de Daniel d’Arthez :


« Nos amis sont presque contents de votre œuvre, cher poète. Vous pourrez la présenter avec plus de confiance, disent-ils, à vos amis et à vos ennemis. Nous avons lu votre charmant article sur le Panorama-Dramatique, et vous devez exciter autant d’envie dans la littérature que de regrets chez nous.

Daniel. »