Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/295

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— Qu’avez-vous, mes amis ? dit Lucien.

— Nous venons d’apprendre une horrible catastrophe : le plus grand esprit de notre époque, notre ami le plus aimé, celui qui pendant deux ans a été notre lumière…

— Louis Lambert, dit Lucien.

— Il est dans un état de catalepsie qui ne laisse aucun espoir, dit Bianchon.

— Il mourra le corps insensible et la tête dans les cieux, ajouta solennellement Michel Chrestien.

— Il mourra comme il a vécu, dit d’Arthez.

— L’amour, jeté comme un feu dans le vaste empire de son cerveau, l’a incendié, dit Léon Giraud.

— Ou, dit Joseph Bridau, l’a exalté à un point où nous le perdons de vue.

— C’est nous qui sommes à plaindre, dit Fulgence Ridal.

— Il se guérira peut-être, s’écria Lucien.

— D’après ce que nous a dit Meyraux, la cure est impossible, répondit Bianchon. Sa tête est le théâtre de phénomènes sur lesquels la médecine n’a nul pouvoir.

— Il existe cependant des agents, dit d’Arthez…

— Oui, dit Bianchon, il n’est que cataleptique, nous pouvons le rendre imbécile.

— Ne pouvoir offrir au génie du mal une tête en remplacement de celle-là ! Moi, je donnerais la mienne ! s’écria Michel Chrestien.

— Et que deviendrait la fédération européenne ? dit d’Arthez.

— Ah ! c’est vrai, reprit Michel Chrestien, avant d’être à un homme on appartient à l’Humanité.

— Je venais ici le cœur plein de remercîments pour vous tous, dit Lucien. Vous avez changé mon billon en louis d’or.

— Des remercîments ! Pour qui nous prends-tu ? dit Bianchon.

— Le plaisir a été pour nous, reprit Fulgence.

— Eh ! bien, vous voilà journaliste ? lui dit Léon Giraud. Le bruit de votre début est arrivé jusque dans le quartier latin.

— Pas encore, répondit Lucien.

— Ah ! tant mieux ! dit Michel Chrestien.

— Je vous le disais bien, reprit d’Arthez. Lucien est un de ces cœurs qui connaissent le prix d’une conscience pure. N’est-ce pas un viatique fortifiant que de poser le soir sa tête sur l’oreiller en pouvant se dire : — Je n’ai pas jugé les œuvres d’autrui, je n’ai causé d’afflic-