Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/313

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en travaillant comme un cheval ; mais je placerai mes deux ouvrages et j’en ferai d’autres, car mes amis vont m’organiser un succès ! Ainsi, je dis comme toi, Coralie : Vogue la galère.

— Tu réussiras, mon petit ; mais ne sois pas aussi bon que tu es beau, tu te perdrais. Sois méchant avec les hommes, c’est bon genre.

Coralie et Lucien allèrent se promener au bois de Boulogne, ils y rencontrèrent encore la marquise d’Espard, madame de Bargeton et le baron Châtelet. Madame de Bargeton regarda Lucien d’un air séduisant qui pouvait passer pour un salut. Camusot avait commandé le meilleur dîner du monde. Coralie, en se sachant débarrassée de lui, fut si charmante pour le pauvre marchand de soieries qu’il ne se souvint pas, durant les quatorze mois de leur liaison, de l’avoir vue si gracieuse ni si attrayante.

— Allons, se dit-il, restons avec elle, quand même !

Camusot proposa secrètement à Coralie une inscription de six mille livres de rente sur le Grand-Livre, que ne connaissait pas sa femme, si elle voulait rester sa maîtresse, en consentant à fermer les yeux sur ses amours avec Lucien.

— Trahir un pareil ange ?… mais regarde-le donc, pauvre magot, et regarde-toi ! dit-elle en lui montrant le poète que Camusot avait légèrement étourdi en le faisant boire.

Camusot résolut d’attendre que la misère lui rendît la femme que la misère lui avait déjà livrée.

— Je ne serai donc que ton ami, dit-il en la baisant au front.

Lucien laissa Coralie et Camusot pour aller aux Galeries-de-Bois. Quel changement son initiation aux mystères du journal avait produit dans son esprit ! Il se mêla sans peur à la foule qui ondoyait dans les Galeries, il eut l’air impertinent parce qu’il avait une maîtresse, il entra chez Dauriat d’un air dégagé parce qu’il était journaliste. Il y trouva grande société, il y donna la main à Blondet, à Nathan, à Finot, à toute la littérature avec laquelle il avait fraternisé depuis une semaine ; il se crut un personnage, et se flatta de surpasser ses camarades ; la petite pointe de vin qui l’animait le servit à merveille, il fut spirituel, et montra qu’il savait hurler avec les loups. Néanmoins, Lucien ne recueillit pas les approbations tacites, muettes ou parlées sur lesquelles il comptait, il aperçut un premier mouvement de jalousie parmi ce monde, moins inquiet que curieux peut-être de savoir quelle place prendrait une su-