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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/325

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— Monsieur, avez-vous déjeuné, voulez-vous nous tenir compagnie ? dit l’actrice.

— Mais oui, nous causerons mieux à table, répondit Dauriat. D’ailleurs, en acceptant votre déjeuner, j’aurai le droit de vous avoir à dîner avec mon ami Lucien, car nous devons maintenant être amis comme le gant et la main.

— Bérénice ! des huîtres, des citrons, du beurre frais, et du vin de Champagne, dit Coralie.

— Vous êtes homme de trop d’esprit pour ne pas savoir ce qui m’amène, dit Dauriat en regardant Lucien.

— Vous venez acheter mon recueil de sonnets ?

— Précisément, répondit Dauriat. Avant tout, déposons les armes de part et d’autre.

Il tira de sa poche un élégant portefeuille, prit trois billets de mille francs, les mit sur une assiette, et les offrit à Lucien d’un air courtisanesque en lui disant : — Monsieur est-il content ?

— Oui, dit le poète qui se sentit inondé par une béatitude inconnue à l’aspect de cette somme inespérée.

Lucien se contint, mais il avait envie de chanter, de sauter, il croyait à la Lampe Merveilleuse, aux Enchanteurs ; il croyait enfin à son génie.

— Ainsi, les Marguerites sont à moi ? dit le libraire. Mais vous n’attaquerez jamais aucune de mes publications.

— Les Marguerites sont à vous, mais je ne puis engager ma plume, elle est à mes amis, comme la leur est à moi.

— Mais, enfin, vous devenez un de mes auteurs. Tous mes auteurs sont mes amis. Ainsi vous ne nuirez pas à mes affaires sans que je sois averti des attaques afin que je puisse les prévenir.

— D’accord.

— À votre gloire ! dit Dauriat en haussant son verre.

— Je vois bien que vous avez lu les Marguerites, dit Lucien.

Dauriat ne se déconcerta pas.

— Mon petit, acheter les Marguerites sans les connaître est la plus belle flatterie que puisse se permettre un libraire. Dans six mois, vous serez un grand poète ; vous aurez des articles, on vous craint, je n’aurai rien à faire pour vendre votre livre. Je suis aujourd’hui le même négociant d’il y a quatre jours. Ce n’est pas moi qui ai changé, mais vous : la semaine dernière, vos sonnets