Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/352

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reprit Finot. On attribue des intentions au Gouvernement, et l’on déchaîne contre lui l’opinion publique.

— Je serai toujours dans le plus profond étonnement de voir un gouvernement abandonnant la direction des idées à des drôles comme nous autres, dit Claude Vignon.

— Si le Ministère commet la sottise de descendre dans l’arène, reprit Finot, on le mène tambour battant ; s’il se pique, on envenime la question, on désaffectionne les masses. Le Journal ne risque jamais rien, là où le pouvoir a toujours tout à perdre.

— La France est annulée jusqu’au jour où le Journal sera mis hors la loi, reprit Claude Vignon. Vous faites d’heure en heure des progrès, dit-il à Finot. Vous serez les Jésuites, moins la foi, la pensée fixe, la discipline et l’union.

Chacun regagna les tables de jeu. Les lueurs de l’aurore firent bientôt pâlir les bougies.

— Tes amis de la rue des Quatre-Vents étaient tristes comme des condamnés à mort, dit Coralie à son amant.

— Ils étaient les juges, répondit le poète.

— Les juges sont plus amusants que ça, dit Coralie.

Lucien vit pendant un mois son temps pris par des soupers, des dîners, des déjeuners, des soirées, et fut entraîné par un courant invincible dans un tourbillon de plaisirs et de travaux faciles. Il ne calcula plus. La puissance du calcul au milieu des complications de la vie est le sceau des grandes volontés que les poètes, les gens faibles ou purement spirituels ne contrefont jamais. Comme la plupart des journalistes, Lucien vécut au jour le jour, dépensant son argent à mesure qu’il le gagnait, ne songeant point aux charges périodiques de la vie parisienne, si écrasantes pour ces bohémiens. Sa mise et sa tournure rivalisaient avec celles des dandies les plus célèbres. Coralie aimait, comme tous les fanatiques, à parer son idole ; elle se ruina pour donner à son cher poète cet élégant mobilier des élégants qu’il avait tant désiré pendant sa première promenade aux Tuileries. Lucien eut alors des cannes merveilleuses, une charmante lorgnette, des boutons en diamants, des anneaux pour ses cravates du matin, des bagues à la chevalière, enfin des gilets mirifiques en assez grand nombre pour pouvoir assortir les couleurs de sa mise. Il passa bientôt dandy. Le jour où il se rendit à l’invitation du diplomate allemand, sa métamorphose excita une sorte d’envie contenue chez les jeunes gens