Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/385

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de chose jugée par un usage réciproque. Quand le mal se sera révélé dans toute son étendue, les lois restrictives et prohibitives, la Censure, mise à propos de l’assassinat du duc de Berry et levée depuis l’ouverture des Chambres, reviendra. Savez-vous ce que le peuple français conclura de ce débat ? il admettra les insinuations de la presse libérale, il croira que les Bourbons veulent attaquer les résultats matériels et acquis de la Révolution, il se lèvera quelque beau jour et chassera les Bourbons. Non-seulement vous salissez votre vie, mais vous serez un jour dans le parti vaincu. Vous êtes trop jeune, trop nouveau venu dans la Presse ; vous en connaissez trop peu les ressorts secrets, les rubriques ; vous y avez excité trop de jalousie, pour résister au tolle général qui s’élèvera contre vous dans les journaux libéraux. Vous serez entraîné par la fureur des partis, qui sont encore dans le paroxysme de la fièvre ; seulement leur fièvre a passé, des actions brutales de 1815 et 1816, dans les idées, dans les luttes orales de la Chambre et dans les débats de la Presse.

— Mes amis, dit Lucien, je ne suis pas l’étourdi, le poète que vous voulez voir en moi. Quelque chose qui puisse arriver, j’aurai conquis un avantage que jamais le triomphe du parti libéral ne peut me donner. Quand vous aurez la victoire, mon affaire sera faite.

— Nous te couperons… les cheveux, dit en riant Michel Chrestien.

— J’aurai des enfants alors, répondit Lucien, et me couper la tête, ce sera ne rien couper.

Les trois amis ne comprirent pas Lucien, chez qui ses relations avec le grand monde avaient développé au plus haut degré l’orgueil nobiliaire et les vanités aristocratiques. Le poète voyait, avec raison d’ailleurs, une immense fortune dans sa beauté, dans son esprit appuyés du nom et du titre de comte de Rubempré. Madame d’Espard, madame de Bargeton et madame de Montcornet le tenaient par ce fil comme un enfant tient un hanneton. Lucien ne volait plus que dans un cercle déterminé. Ces mots : « Il est des nôtres, il pense bien ! » dits trois jours auparavant dans les salons de mademoiselle des Touches, l’avaient enivré, ainsi que les félicitations qu’il avait reçues des ducs de Lenoncourt, de Navarreins et de Grandlieu, de Rastignac, de Blondet, de la belle duchesse de Maufrigneuse, du comte d’Esgrignon, de des Lupeaulx, des gens les plus influents et les mieux en cour du parti royaliste.

— Allons ! tout est dit, répliqua d’Arthez. Il te sera plus difficile