Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Une guerre à mort fut résolue et votée à l’unanimité, à une heure du matin, par les rédacteurs qui noyèrent toutes leurs nuances et toutes leurs idées dans un punch flamboyant.

Nous nous sommes donné une fameuse culotte monarchique et religieuse, dit sur le seuil de la porte un des écrivains les plus célèbres de la littérature romantique.

Ce mot historique, révélé par un libraire qui assistait au dîner, parut le lendemain dans le Miroir ; mais la révélation fut attribuée à Lucien. Cette défection fut le signal d’un effroyable tapage dans les journaux libéraux, Lucien devint leur bête noire, et fut tympanisé de la plus cruelle façon : on raconta les infortunes de ses sonnets, on apprit au public que Dauriat aimait mieux perdre mille écus que de les imprimer, on l’appela le poète sans sonnets !

Un matin, dans ce même journal où Lucien avait débuté si brillamment, il lut les lignes suivantes écrites uniquement pour lui, car le public ne pouvait guère comprendre cette plaisanterie :

*** Si le libraire Dauriat persiste à ne pas publier les sonnets du futur Pétrarque français, nous agirons en ennemis généreux, nous ouvrirons nos colonnes à ces poèmes qui doivent être piquants, à en juger par celui-ci que nous communique un ami de l’auteur.

Et, sous cette terrible annonce, le poète lut ce sonnet qui le fit pleurer à chaudes larmes.


Une plante chétive et de louche apparence
Surgit un beau matin dans un parterre en fleurs ;
À l’en croire, pourtant, de splendides couleurs
Témoigneraient un jour de sa noble semence :

On la toléra donc ! Mais, pour reconnaissance,
Elle insulta bientôt ses plus brillantes sœurs,
Qui, s’indignant enfin de ses grands airs casseurs,
La mirent au défi de prouver sa naissance.

Elle fleurit alors. Mais un vil baladin
Ne fut jamais sifflé comme tout le jardin
Honnit, siffla, railla ce calice vulgaire.

Puis le maître, en passant, la brisa sans pardon ;
Et le soir sur sa tombe un âne seul vint braire,
Car ce n’était vraiment qu’un ignoble chardon !