Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/389

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Finot en lui vendant son petit sixième pour quinze mille francs. Lousteau, qui perdait ses mille écus, ne pardonna pas à Lucien cette lésion énorme de ses intérêts. Les blessures d’amour-propre deviennent incurables quand l’oxyde d’argent y pénètre. Aucune expression, aucune peinture ne peut rendre la rage qui saisit les écrivains quand leur amour-propre souffre, ni l’énergie qu’ils trouvent au moment où ils se sentent piqués par les flèches empoisonnées de la raillerie. Ceux dont l’énergie et la résistance sont stimulées par l’attaque, succombent promptement. Les gens calmes et dont le thème est fait d’après le profond oubli dans lequel tombe un article injurieux, ceux-là déploient le vrai courage littéraire. Ainsi les faibles, au premier coup d’œil, paraissent être les forts ; mais leur résistance n’a qu’un temps. Pendant les premiers quinze jours, Lucien enragé fit pleuvoir une grêle d’articles dans les journaux royalistes où il partagea le poids de la critique avec Hector Merlin. Tous les jours sur la brèche du Réveil, il fit feu de tout son esprit, appuyé d’ailleurs par Martinville, le seul qui le servît sans arrière-pensée, et qu’on ne mit pas dans le secret des conventions signées par des plaisanteries après boire, ou aux Galeries de Bois chez Dauriat, et dans les coulisses de théâtre, entre les journalistes des deux partis que la camaraderie unissait secrètement. Quand Lucien allait au foyer du Vaudeville, il n’était plus traité en ami, les gens de son parti lui donnaient seuls la main ; tandis que Nathan, Hector Merlin, Théodore Gaillard fraternisaient sans honte avec Finot, Lousteau, Vernou et quelques-uns de ces journalistes décorés du surnom de bons enfants. À cette époque, le foyer du Vaudeville était le chef-lieu des médisances littéraires, une espèce de boudoir où venaient des gens de tous les partis, des hommes politiques et des magistrats. Après une réprimande faite en certaine Chambre du Conseil, le président, qui avait reproché à l’un de ses collègues de balayer les coulisses de sa simarre, se trouva simarre à simarre avec le réprimandé dans le foyer du Vaudeville. Lousteau finit par y donner la main à Nathan. Finot y venait presque tous les soirs. Quand Lucien avait le temps, il y étudiait les dispositions de ses ennemis, et ce malheureux enfant voyait toujours en eux une implacable froideur.

En ce temps, l’esprit de parti engendrait des haines bien plus sérieuses qu’elles ne le sont aujourd’hui. Aujourd’hui, à la longue, tout s’est amoindri par une trop grande tension des ressorts. Au-