Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/392

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

inextricable lacis d’ambitions, Lucien n’eut pas assez de courage pour tirer l’épée afin d’en couper les nœuds, et ne se sentit pas la patience de les démêler, il ne pouvait être ni l’Arétin, ni le Beaumarchais, ni le Fréron de son époque, il s’en tint à son unique désir : avoir son ordonnance, en comprenant que cette restauration lui vaudrait un beau mariage. Sa fortune ne dépendrait plus alors que d’un hasard auquel aiderait sa beauté. Lousteau, qui lui avait marqué tant de confiance, avait son secret, le journaliste savait où blesser à mort le poète d’Angoulême ; aussi le jour où Merlin l’amenait au Vaudeville, Étienne avait-il préparé pour Lucien un piége horrible où cet enfant devait se prendre et succomber.

— Voilà notre beau Lucien, dit Finot en traînant des Lupeaulx avec lequel il causait devant Lucien dont il prit la main avec les décevantes chatteries de l’amitié. Je ne connais pas d’exemples d’une fortune aussi rapide que la sienne, dit Finot en regardant tour à tour Lucien et le maître des requêtes. À Paris, la fortune est de deux espèces : il y a la fortune matérielle, l’argent que tout le monde peut ramasser, et la fortune morale, les relations, la position, l’accès dans un certain monde inabordable pour certaines personnes, quelle que soit leur fortune matérielle, et mon ami…..

— Notre ami, dit des Lupeaulx en jetant à Lucien un caressant regard.

— Notre ami, reprit Finot en tapotant la main de Lucien entre les siennes, a fait sous ce rapport une brillante fortune. À la vérité, Lucien a plus de moyens, plus de talent, plus d’esprit que tous ses envieux, puis il est d’une beauté ravissante ; ses anciens amis ne lui pardonnent pas ses succès, ils disent qu’il a eu du bonheur.

— Ces bonheurs-là, dit des Lupeaulx, n’arrivent jamais aux sots ni aux incapables. Hé ! peut-on appeler du bonheur, le sort de Bonaparte ? il y avait eu vingt généraux en chef avant lui pour commander les armées d’Italie, comme il y a cent jeunes gens en ce moment qui voudraient pénétrer chez mademoiselle des Touches, que déjà dans le monde on vous donne pour femme, mon cher ! dit des Lupeaulx en frappant sur l’épaule de Lucien. Ah ! vous êtes en grande faveur. Madame d’Espard, madame de Bargeton et madame de Montcornet sont folles de vous. N’êtes-vous pas ce soir de la soirée de madame Firmiani, et demain du raout de la duchesse de Grandlieu ?

— Oui, dit Lucien.