Lucien lui tendit le manuscrit, d’Arthez le lut, et ne put s’empêcher de sourire : — Quel fatal emploi de l’esprit ! s’écria-t-il ; mais il se tut en voyant Lucien dans un fauteuil, accablé d’une douleur vraie. — Voulez-vous me le laisser corriger ? je vous le renverrai demain, reprit-il. La plaisanterie déshonore une œuvre, une critique grave et sérieuse est parfois un éloge, je saurai rendre votre article plus honorable et pour vous et pour moi. D’ailleurs moi seul, je connais bien mes fautes !
— En montant une côte aride, on trouve quelquefois un fruit pour apaiser les ardeurs d’une soif horrible ; ce fruit, le voilà ! dit Lucien qui se jeta dans les bras de d’Arthez, y pleura et lui baisa le front en disant : — Il me semble que je vous confie ma conscience pour me la rendre un jour !
— Je regarde le repentir périodique comme une grande hypocrisie, dit solennellement d’Arthez, le repentir est alors une prime donnée aux mauvaises actions. Le repentir est une virginité que notre âme doit à Dieu : un homme qui se repent deux fois est donc un horrible sycophante. J’ai peur que tu ne voies que des absolutions dans tes repentirs !
Ces paroles foudroyèrent Lucien qui revint à pas lents rue de la Lune. Le lendemain, le poète porta au journal son article, renvoyé et remanié par d’Arthez ; mais, depuis ce jour, il fut dévoré par une mélancolie qu’il ne sut pas toujours déguiser. Quand le soir il vit la salle du Gymnase pleine, il éprouva les terribles émotions que donne un début au théâtre, et qui s’agrandirent chez lui de toute la puissance de son amour. Toutes ses vanités étaient en jeu, son regard embrassait toutes les physionomies comme celui d’un accusé embrasse les figures des jurés et des juges : un murmure allait le faire tressaillir ; un petit incident sur la scène, les entrées et les sorties de Coralie, les moindres inflexions de voix devaient l’agiter démesurément. La pièce où débutait Coralie était une de celles qui tombent, mais qui rebondissent, et la pièce tomba. En entrant en scène, Coralie ne fut pas applaudie, et fut frappée par la froideur du Parterre. Dans les loges, elle n’eut pas d’autres applaudissements que celui de Camusot. Des personnes placées au Balcon et aux Galeries firent taire le négociant par des chut répétés. Les Galeries imposèrent silence aux claqueurs, quand les claqueurs se livrèrent à des salves évidemment exagérées. Martinville applaudissait courageusement, et l’hypocrite Florine, Nathan, Merlin l’imitaient.