Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/404

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sédait l’une des voix les plus célèbres en dehors de la scène, pour la Cinti, la Pasta, Garcia, Levasseur, et deux ou trois voix illustres du beau monde. Lucien se glissa jusqu’à l’endroit où la marquise, sa cousine et madame de Montcornet étaient assises. Le malheureux jeune homme prit un air léger, content, heureux ; il plaisanta, se montra comme il était dans ses jours de splendeur, il ne voulait point paraître avoir besoin du monde. Il s’étendit sur les services qu’il rendait au parti royaliste, il en donna pour preuve les cris de haine que poussaient les Libéraux.

— Vous en serez bien largement récompensé, mon ami, lui dit madame de Bargeton en lui adressant un gracieux sourire. Allez après-demain à la chancellerie avec le Héron et des Lupeaulx, et vous y trouverez votre ordonnance signée par le roi. Le garde-des-sceaux la porte demain au château ; mais il y a conseil, il reviendra tard : néanmoins, si je savais le résultat, dans la soirée, j’enverrai chez vous. Où demeurez-vous ?

— Je viendrai, répondit Lucien honteux d’avoir à dire qu’il demeurait rue de la Lune.

— Les ducs de Lenoncourt et de Navarreins ont parlé de vous au roi, reprit la marquise, ils ont vanté en vous un de ces dévouements absolus et entiers qui voulaient une récompense éclatante afin de vous venger des persécutions de parti libéral. D’ailleurs, le nom et le titre des Rubempré, auxquels vous avez droit par votre mère, vont devenir illustres en vous. Le roi a dit à Sa Grandeur, le soir, de lui apporter une ordonnance pour autoriser le sieur Lucien Chardon à porter le nom et les titres des comtes de Rubempré, en sa qualité de petit-fils du dernier comte par sa mère. — Favorisons les chardonnerets du Pinde, a-t-il dit après avoir lu votre sonnet sur le lis dont s’est heureusement souvenu ma cousine et qu’elle avait donné au duc. — Surtout quand le roi peut faire le miracle de les changer en aigles, a répondu monsieur de Navarreins.

Lucien eut une effusion de cœur qui aurait pu attendrir une femme moins profondément blessée que l’était Louise d’Espard de Négrepelisse. Plus Lucien était beau, plus elle avait soif de vengeance. Des Lupeaulx avait raison, Lucien manquait de tact : il ne sut pas deviner que l’ordonnance dont on lui parlait n’était qu’une plaisanterie comme savait en faire madame d’Espard. Enhardi par ce succès et par la distinction flatteuse que lui témoignait mademoiselle des Touches, il resta chez elle jusqu’à deux heures du ma-