Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/447

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de mes amis qui ont connu Lucien sont unanimes en ce jugement : j’ai donc vu l’accomplissement d’un devoir dans la manifestation de la vérité, quelque terrible qu’elle soit. On peut tout attendre de Lucien en bien comme en mal. Telle est notre pensée, en un seul mot, où se résume cette lettre. Si les hasards de sa vie, maintenant bien misérable, bien chanceuse, ramenaient ce poète vers vous, usez de toute votre influence pour le garder au sein de la famille ; car, jusqu’à ce que son caractère ait pris de la fermeté, Paris sera toujours dangereux pour lui. Il vous appelait, vous et votre mari, ses anges gardiens, et il vous a sans doute oubliés ; mais il se souviendra de vous au moment où, battu par la tempête, il n’aura plus que sa famille pour asile, gardez-lui donc votre cœur, madame : il en aura besoin.

» Agréez, madame, les sincères hommages d’un homme à qui vos précieuses qualités sont connues, et qui respecte trop vos maternelles inquiétudes pour ne pas vous offrir ici ses obéissances en se disant :

» Votre dévoué serviteur,
» D’Arthès. »

Deux jours après avoir lu cette réponse, Ève fut obligée de prendre une nourrice : son lait tarissait. Après avoir fait un dieu de son frère, elle le voyait dépravé par l’exercice des plus belles facultés ; enfin, pour elle, il roulait dans la boue. Cette noble créature ne savait pas transiger avec la probité, avec la délicatesse, avec toutes les religions domestiques cultivées au foyer de la famille, encore si pur, si rayonnant au fond de la province. David avait donc eu raison dans ses prévisions. Quand le chagrin, qui mettait sur son front si blanc des teintes de plomb, fut confié par Ève à son mari dans une de ces limpides conversations où le ménage de deux amants peut tout se dire, David fit entendre de consolantes paroles. Quoiqu’il eût les larmes aux yeux en voyant le beau sein de sa femme tari par la douleur, et cette mère au désespoir de ne pouvoir accomplir son œuvre maternelle, il rassura sa femme en lui donnant quelques espérances.

— Vois-tu, mon enfant, ton frère a péché par l’imagination. Il est si naturel à un poète de vouloir sa robe de pourpre et d’azur, il court avec tant d’empressement aux fêtes ! Cet oiseau se prend à