Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/548

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Lucien et de David que sur leurs espérances. Parmi les petites ouvrières dont il était le Don Juan et qu’il gouvernait en les opposant les unes aux autres, le prote des Cointet, pour le moment en service extraordinaire, avait distingué l’une des repasseuses de Basine Clerget, une fille presque aussi belle que madame Séchard, appelée Henriette Mignon, et dont les parents étaient de petits vignerons vivant dans leur bien à deux lieues d’Angoulême, sur la route de Saintes. Les Mignon, comme tous les gens de la campagne, ne se trouvaient pas assez riches pour garder leur unique enfant avec eux, et ils l’avaient destinée à entrer en maison, c’est-à-dire à devenir femme de chambre. En province, une femme de chambre doit savoir blanchir et repasser le linge fin. La réputation de madame Prieur, à qui Basine succédait, était telle, que les Mignon y mirent leur fille en apprentissage en y payant pension pour la nourriture et le logement. Madame Prieur appartenait à cette race de vieilles maîtresses qui, dans les provinces, se croient substituées aux parents. Elle vivait en famille avec ses apprenties, elle les menait à l’église et les surveillait consciencieusement. Henriette Mignon, belle brune bien découplée, à l’œil hardi, à la chevelure forte et longue, était blanche comme sont blanches les filles du Midi, de la blancheur d’une fleur de magnolia. Aussi Henriette fut-elle une des premières grisettes que visa Cérizet ; mais comme elle appartenait à d’honnêtes cultivateurs, elle ne céda que vaincue par la jalousie, par le mauvais exemple et par cette phrase séduisante : — Je t’épouserai ! que lui dit Cérizet, une fois qu’il se vit second prote chez messieurs Cointet. En apprenant que les Mignon possédaient pour quelque dix ou douze mille francs de vignes et une petite maison assez logeable, le Parisien se hâta de mettre Henriette dans l’impossibilité d’être la femme d’un autre. Les amours de la belle Henriette et du petit Cérizet en étaient là quand Petit-Claud lui parla de le rendre propriétaire de l’imprimerie Séchard, en lui montrant une espèce de commandite de vingt mille francs qui devait être un licou. Cet avenir éblouit le prote, la tête lui tourna, mademoiselle Mignon lui parut un obstacle à ses ambitions, et il négligea la pauvre fille. Henriette, au désespoir, s’attacha d’autant plus au petit prote des Cointet qu’il semblait la vouloir quitter. En découvrant que David se cachait chez mademoiselle Clerget, le Parisien changea d’idées à l’égard d’Henriette, mais sans changer de conduite ; car il se proposait de faire servir à sa fortune l’espèce