Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/555

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désaccord avec ses espérances, il se tue et rend ainsi hommage à la société devant laquelle il ne veut pas rester déshabillé de ses vertus ou de sa splendeur. Quoi qu’on en dise, parmi les athées (il faut excepter le chrétien du suicide), les lâches seuls acceptent une vie déshonorée. Le suicide est de trois natures : il y a d’abord le suicide qui n’est que le dernier accès d’une longue maladie et qui certes appartient à la pathologie ; puis le suicide par désespoir, enfin le suicide par raisonnement. Lucien voulait se tuer par désespoir et par raisonnement, les deux suicides dont on peut revenir ; car il n’y a d’irrévocable que le suicide pathologique : mais souvent les trois causes se réunissent, comme chez Jean-Jacques Rousseau.

Lucien, une fois sa résolution prise, tomba dans la délibération des moyens, et le poète voulut finir poétiquement. Il avait d’abord pensé tout bonnement à s’aller jeter dans la Charente ; mais, en descendant les rampes de Beaulieu pour la dernière fois, il entendit par avance le tapage que ferait son suicide, il vit l’affreux spectacle de son corps revenu sur l’eau, déformé, l’objet d’une enquête judiciaire : il eut, comme quelques suicides, un amour-propre posthume. Pendant la journée passée au moulin de Courtois il s’était promené le long de la rivière et avait remarqué, non loin du moulin, une de ces nappes rondes, comme il s’en trouve dans les petits cours d’eau, dont l’excessive profondeur est accusée par la tranquillité de la surface. L’eau n’est plus ni verte, ni bleue, ni claire, ni jaune ; elle est comme un miroir d’acier poli. Les bords de cette coupe n’offraient plus ni glaïeuls, ni fleurs bleues, ni les larges feuilles du nénuphar, l’herbe de la berge était courte et pressée, les saules pleuraient autour, assez pittoresquement placés tous. On devinait facilement un précipice plein d’eau. Celui qui pouvait avoir le courage d’emplir ses poches de cailloux devait y trouver une mort inévitable, et ne jamais être retrouvé. — Voilà, s’était dit le poète en admirant ce joli petit paysage, un endroit qui vous met l’eau à la bouche d’une noyade. Ce souvenir lui revint à la mémoire, au moment où il atteignit l’Houmeau. Il chemina donc vers Marsac, en proie à ses dernières et funèbres pensées, et dans la ferme intention de dérober ainsi le secret de sa mort, de ne pas être l’objet d’une enquête, de ne pas être enterré, de ne pas être vu dans l’horrible état où sont les noyés quand ils reviennent à fleur d’eau. Il parvint bientôt au pied d’une de ces côtes qui se rencontrent si