Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/579

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vient reconnaître les gens avant d’ouvrir. Un corridor règne le long de la façade au rez-de-chaussée, et sur ce corridor ouvrent plusieurs chambres dont les fenêtres hautes et garnies de hottes tirent leur jour du préau. Le geôlier occupe un logement séparé de ces chambres par une voûte qui sépare le rez-de-chaussée en deux parties, et au bout de laquelle on voit, dès le guichet, une grille fermant le préau. David fut conduit par le geôlier dans celle des chambres qui se trouvait auprès de la voûte, et dont la porte donnait en face de son logement. Le geôlier voulait voisiner avec un homme qui, vu sa position particulière, pouvait lui tenir compagnie.

— C’est la meilleure chambre, dit-il en voyant David stupéfait à l’aspect du local.

Les murs de cette chambre étaient en pierre et assez humides. Les fenêtres très-élevées avaient des barreaux de fer. Les dalles de pierre jetaient un froid glacial. On entendait le pas régulier de la sentinelle en faction qui se promenait dans le corridor. Ce bruit monotone, comme celui de la marée, vous jette à tout instant cette pensée : « On te garde ! tu n’es plus libre ! » Tous ces détails, cet ensemble de choses agit prodigieusement sur le moral des honnêtes gens. David aperçut un lit exécrable ; mais les gens incarcérés sont si violemment agités pendant la première nuit, qu’ils ne s’aperçoivent de la dureté de leur couche qu’à la seconde nuit. Le geôlier fut gracieux, il proposa naturellement à son détenu de se promener dans le préau jusqu’à la nuit. Le supplice de David ne commença qu’au moment de son coucher. Il était interdit de donner de la lumière aux prisonniers, il fallait donc un permis du Procureur du Roi pour exempter le détenu pour dettes du règlement qui ne concernait évidemment que les gens mis sous la main de justice. Le geôlier admit bien David à son foyer, mais il fallut enfin le renfermer, à l’heure du coucher. Le pauvre mari d’Ève connut alors les horreurs de la prison et la grossièreté de ses usages qui le révolta. Mais, par une de ces réactions assez familières aux penseurs, il s’isola dans cette solitude, il s’en sauva par un de ces rêves que les poètes ont le pouvoir de faire tout éveillés. Le malheureux finit par porter sa réflexion sur ses affaires. La prison pousse énormément à l’examen de conscience. David se demanda s’il avait rempli ses devoirs de chef de famille ? quelle devait être la désolation de sa femme ? pourquoi, comme le lui disait Marion, ne pas gagner assez d’argent pour pouvoir faire plus tard sa découverte à loisir ?