Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/583

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rogeait Henriette, que dirait-elle ?… Je ne veux pas te perdre, dit aussitôt Petit-Claud en voyant pâlir Cérizet.

— Vous voulez encore quelque chose de moi ? s’écria le Parisien.

— Eh ! bien, voici ce que j’attends de toi, reprit Petit-Claud. Écoute bien ! tu seras imprimeur à Angoulême dans deux mois…, mais tu devras ton imprimerie, et tu ne l’auras pas payée en dix ans !… Tu travailleras long-temps pour tes capitalistes ! et de plus tu seras obligé d’être le prête-nom du parti libéral… C’est moi qui rédigerai ton acte de commandite avec Gannerac ; je le ferai de manière que tu puisses un jour avoir l’imprimerie à toi… Mais, s’ils créent un journal, si tu en es le gérant, si je suis ici premier substitut, tu t’entendras avec le grand Cointet pour mettre dans ton journal des articles de nature à le faire saisir et supprimer… Les Cointet te payeront largement pour leur rendre ce service-là… Je sais bien que tu seras condamné, que tu mangeras de la prison, mais tu passeras pour un homme important et persécuté. Tu deviendras un personnage du parti libéral, un sergent Mercier, un Paul-Louis Courier, un Manuel au petit pied. Je ne te laisserai jamais retirer ton brevet. Enfin, le jour où le journal sera supprimé, je brûlerai cette lettre devant toi… Ta fortune ne te coûtera pas cher…

Les gens du peuple ont des idées très-erronées sur les distinctions légales du faux, et Cérizet, qui se voyait déjà sur les bancs de la cour d’assises, respira.

— Je serai, dans trois ans d’ici, procureur du roi à Angoulême, reprit Petit-Claud, tu pourras avoir besoin de moi, songes-y !

— C’est entendu, dit Cérizet. Mais vous ne me connaissez pas : brûlez cette lettre devant moi, reprit-il, fiez-vous à ma reconnaissance.

Petit-Claud regarda Cérizet. Ce fut un de ces duels d’œil à œil où le regard de celui qui observe est comme un scalpel avec lequel il essaye de fouiller l’âme, et où les yeux de l’homme qui met alors ses vertus en étalage sont comme un spectacle.

Petit-Claud ne répondit rien ; il alluma une bougie et brûla la lettre en se disant : — Il a sa fortune à faire !

— Vous avez à vous une âme damnée, dit le prote.

David attendait avec une vague inquiétude la conférence avec les Cointet : ce n’était ni la discussion de ses intérêts ni celle de l’acte à faire qui l’occupait ; mais l’opinion que les fabricants al-