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URSULE MIROUET.

laissa prendre, il y déposa un baiser respectueux, la salua profondément et sortit ; mais il rentra pour dire au curé : — Voulez-vous, mon cher abbé, m’arrêter une place à la diligence pour demain matin ?

Le curé resta pendant une demi-heure environ à chanter les louanges du docteur Minoret, qui avait voulu faire et avait fait la conquête de la vieille dame.

— Il est étonnant pour son âge, dit-elle ; il parle d’aller à Paris et de faire les affaires de mon fils, comme s’il n’avait que vingt-cinq ans. Il a vu la bonne compagnie.

— La meilleure, madame ; et aujourd’hui plus d’un fils de pair de France pauvre serait bien heureux d’épouser sa pupille avec un million. Ah ! si cette idée passait par le cœur de Savinien, les temps sont si changés que ce n’est pas de votre côté que seraient les plus grandes difficultés, après la conduite de votre fils.

L’étonnement profond où cette dernière phrase jeta la vieille dame permit au curé de l’achever.

— Vous avez perdu le sens, mon cher abbé Chaperon.

— Vous y penserez, madame, et Dieu veuille que votre fils se conduise désormais de manière à conquérir l’estime de ce vieillard !

— Si ce n’était pas vous, monsieur le curé, dit madame de Portenduère, si c’était un autre qui me parlât ainsi…

— Vous ne le verriez plus, dit en souriant l’abbé Chaperon. Espérons que votre cher fils vous apprendra ce qui se passe à Paris en fait d’alliances. Vous songerez au bonheur de Savinien, et après avoir déjà compromis son avenir ne l’empêchez pas de se faire une position.

— Et c’est vous qui me dites cela !

— Si je ne vous le disais point, qui donc vous le dirait ! s’écria le prêtre en se levant et faisant une prompte retraite.

Le curé vit Ursule et son parrain tournant sur eux-mêmes dans la cour. Le faible docteur avait été tant tourmenté par sa filleule qu’il venait de céder : elle voulait aller à Paris et lui donnait mille prétextes. Il appela le curé, qui vint, et le pria de retenir tout le coupé pour lui le soir même si le bureau de la diligence était encore ouvert. Le lendemain, à six heures et demie du soir, le vieillard et la jeune fille arrivèrent à Paris, où, dans la soirée même, le docteur alla consulter son notaire. Les événements politiques étaient menaçants. Le juge de paix de Nemours avait dit plusieurs