— Ursule, dit le vieillard, tu me fais faire des folies. Ce n’est pas l’oublier, cela.
— Mais, reprit-elle, s’il faut renoncer à lui, dois-je aussi ne lui porter aucun intérêt ? Je puis l’aimer et ne me marier à personne.
— Ah ! s’écria le bonhomme, il y a tant de raison dans ta déraison que je me repens de t’avoir amenée.
Trois jours après, le vieillard avait les quittances en règle, les titres et toutes les pièces établissant la libération de Savinien. Cette liquidation, y compris les honoraires de l’homme d’affaires, s’était opérée pour une somme de quatre-vingt mille francs. Il restait au docteur huit cent mille francs, que son notaire lui fit mettre en bons du trésor, afin de ne pas perdre trop d’intérêts. Il gardait vingt mille francs en billets de banque pour Savinien. Le docteur alla lui-même lever l’écrou le samedi à deux heures, et le jeune vicomte, instruit déjà par une lettre de sa mère, remercia son libérateur avec une sincère effusion de cœur.
— Vous ne devez pas tarder à venir voir votre mère, lui dit le vieux Minoret.
Savinien répondit avec une sorte de confusion qu’il avait contracté dans sa prison une dette d’honneur, et raconta la visite de ses amis.
— Je vous soupçonnais quelque dette privilégiée, s’écria le docteur en souriant. Votre mère m’emprunte cent mille francs, mais je n’en ai payé que quatre-vingt mille : voici le reste, ménagez-le bien, monsieur, et considérez ce que vous en garderez comme votre enjeu au tapis vert de la fortune.
Pendant les huit derniers jours Savinien avait fait des réflexions sur l’époque actuelle. La concurrence en toute chose exige de grands travaux à qui veut une fortune. Les moyens illégaux demandent plus de talent et de pratiques souterraines qu’une recherche à ciel ouvert. Les succès dans le monde, loin de donner une position, dévorent le temps et veulent énormément d’argent. Le nom de Portenduère, que sa mère lui disait tout-puissant, n’était rien à Paris. Son cousin le député, le comte de Portenduère, faisait petite figure au sein de la Chambre élective en présence de la Pairie, de la Cour, et n’avait pas trop de son crédit pour lui-même. L’amiral de Kergarouët n’existait que par sa femme. Il avait vu des orateurs, des gens venus du milieu social inférieur à la noblesse ou de petits