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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

muns parut une folie à tous les héritiers Minoret. Cette prétendue folie fut le commencement d’une ère nouvelle dans la vie du docteur qui, par un moment où les chevaux et les voitures se donnaient presque, ramena de Paris trois superbes chevaux et une calèche.

Quand, au commencement de novembre 1830, le vieillard vint pour la première fois par un temps pluvieux en calèche à la messe, et descendit pour donner la main à Ursule, tous les habitants accoururent sur la place, autant pour voir la voiture du docteur et questionner son cocher que pour gloser sur la pupille à l’excessive ambition de laquelle Massin, Crémière, le maître de poste et leurs femmes attribuaient les folies de leur oncle.

— La calèche ! hé, Massin ? cria Goupil. Votre succession va bon train, hein ?

— Tu dois avoir demandé de bons gages, Cabirolle ? dit le maître de poste au fils d’un de ses conducteurs qui restait auprès des chevaux, car il faut espérer que tu n’useras pas beaucoup de fers chez un homme de quatre-vingt-quatre ans. Combien les chevaux ont-ils coûté ?

— Quatre mille francs. La calèche, quoique de hasard, a été payée deux mille francs ; mais elle est belle, les roues sont à patente.

— Comment dites-vous, Cabirolle ? demanda madame Crémière.

— Il dit à ma tante, répondit Goupil, c’est une idée des Anglais, qui ont inventé ces roues-là. Tenez ! voyez-vous, on ne voit rien du tout, c’est emboîté, c’est joli, on n’accroche pas, il n’y a plus ce vilain bout de fer carré qui dépassait l’essieu.

— À quoi rime ma tante ? dit alors innocemment madame Crémière.

— Comment ! dit Goupil, ca ne vous tente donc pas ?

— Ah ! je comprends, dit-elle.

— Eh ! bien, non, vous êtes une honnête femme, dit Goupil, il ne faut pas vous tromper, le vrai mot c’est à patte entre, parce que la fiche est cachée.

— Oui, madame, dit Cabirolle qui fut la dupe de l’explication de Goupil, tant le clerc la donna sérieusement.

— C’est une belle voiture, tout de même, s’écria Crémière, et il faut être riche pour prendre un pareil genre.

— Elle va bien, la petite, dit Goupil. Mais elle a raison, elle vous apprend à jouir de la vie. Pourquoi n’avez-vous pas de beaux che-