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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/135

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

cement de la nouvelle année, Ursule obtint de lui qu’il vendît ses chevaux, sa voiture, et qu’il congédiât Cabirolle. Le juge de paix, dont les inquiétudes sur l’avenir d’Ursule étaient loin de se calmer par les demi-confidences du vieillard, entama la question délicate de l’héritage, en démontrant un soir à son vieil ami la nécessité d’émanciper Ursule. La pupille serait alors habile à recevoir un compte de tutelle et à posséder ; ce qui permettrait de l’avantager. Malgré cette ouverture, le vieillard, qui cependant avait déjà consulté le juge de paix, ne lui confia point le secret de ses dispositions envers Ursule ; mais il adopta le parti de l’émancipation. Plus le juge de paix mettait d’insistance à vouloir connaître les moyens choisis par son vieil ami pour enrichir Ursule, plus le docteur devenait défiant. Enfin Minoret craignit positivement de confier au juge de paix ses trente-six mille francs de rente au porteur.

— Pourquoi, lui dit Bongrand, mettre contre vous le hasard ?

— Entre deux hasards, répondit le docteur, on évite le plus chanceux.

Bongrand mena l’affaire de l’émancipation assez rondement pour qu’elle fût terminée le jour où mademoiselle Mirouët eût ses vingt ans. Cet anniversaire devait être la dernière fête du vieux docteur qui, pris sans doute d’un pressentiment de sa fin prochaine, célébra somptueusement cette journée en donnant un petit bal auquel il invita les jeunes personnes et les jeunes gens des quatre familles Dionis, Crémière, Minoret et Massin. Savinien, Bongrand, le curé, ses deux vicaires, le médecin de Nemours et mesdames Zélie Minoret, Massin et Crémière, ainsi que Schmucke furent les convives du grand dîner qui précéda le bal.

— Je sens que je m’en vais, dit le vieillard au notaire à la fin de la soirée. Je vous prie donc de venir demain pour rédiger le compte de tutelle que je dois rendre à Ursule, afin de ne pas en compliquer ma succession. Dieu merci ! je n’ai pas fait tort d’une obole à mes héritiers, et n’ai disposé que de mes revenus. Messieurs Crémière, Massin et Minoret, mon neveu, sont membres du conseil de famille institué pour Ursule, ils assisteront à cette reddition de comptes.

Ces paroles entendues par Massin et colportées dans le bal y répandirent la joie parmi les trois familles qui depuis quatre ans vivaient en de continuelles alternatives, se croyant tantôt riches, tantôt déshéritées.