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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Songe, mon enfant adoré, que tu dois obéir aveuglément à une pensée qui a fait le bonheur de toute ma vie, et qui m’obligerait à demander le secours de Dieu, si tu me désobéissais. Mais, en prévision d’un scrupule de ta chère conscience, que je sais ingénieuse à se tourmenter, tu trouveras ci-joint un testament en bonne forme de ces inscriptions au profit de monsieur Savinien de Portenduère. Ainsi, soit que tu les possèdes toi-même, soit qu’elles te viennent de celui que tu aimes, elles seront ta légitime propriété.

Ton parrain,
Denis Minoret. »

À cette lettre était jointe, sur un carré de papier timbré, la pièce suivante :

« CECI EST MON TESTAMENT.

Moi, Denis Minoret, docteur en médecine, domicilié à Nemours, sain d’esprit et de corps, ainsi que la date de ce testament le démontre, lègue mon âme à Dieu, le priant de me pardonner mes longues erreurs en faveur de mon sincère repentir. Puis, ayant reconnu en monsieur le vicomte Savinien de Portenduère une véritable affection pour moi, je lui lègue trente-six mille francs de rente perpétuelle trois pour cent, à prendre dans ma succession, par préférence à tous mes héritiers.

Fait et écrit en entier de ma main, à Nemours, le onze janvier mil huit cent trente et un.

Denis Minoret. »

Sans hésiter, le maître de poste, qui pour être bien seul s’était enfermé dans la chambre de sa femme, y chercha le briquet phosphorique et reçut deux avis du ciel par l’extinction de deux allumettes qui successivement ne voulurent pas s’allumer. La troisième prit feu. Il brûla dans la cheminée et la lettre et le testament. Par une précaution superflue, il enterra les vestiges du papier et de la cire dans les cendres. Puis, affriolé par l’idée de posséder trente-six mille francs de rente à l’insu de sa femme, il revint au pas de course chez son oncle, aiguillonné par la seule idée, idée simple et nette, qui pouvait traverser sa lourde tête. En voyant la maison de son oncle envahie par les trois familles enfin maîtresses de la place,